Dans un contexte international marqué par la contraction de l’économie mondiale, la guerre commerciale entre les deux grands pôles de puissance (États-Unis et Chine), l’instabilité et la guerre au Moyen-Orient, la fragilité de l’Europe ; la seconde visite en Chine du président Macron est loin d’être évidente. Inscrit dans le 55e anniversaire des relations franco-chinoises, ce voyage diplomatique de trois jours est teinté de nuances et d’espérances pour une meilleure coordination à l’échelle européenne afin de peser face au système chinois. Avant le départ du président Français, les autorités chinoises rappelées qu’il était inutile de discuter de ce qui est pour Pékin des sujets de politiques intérieures…
Cette visite de trois jours, paroxysme de l’exercice diplomatique est l’occasion pour Paris comme pour Pékin d’afficher son savoir-faire en matière de politique internationale et faire passer des messages directs ou non. Une certaine euphorie règne dans le sillage des délégations en visite officielle : contrats importants, dispositifs de sécurité, perceptions fantasmées réciproques et autres faiseurs d’opinions…
Le président français et la « carte européenne » en Chine ?
La Chine connait des difficultés économiques, bancaires (alors que la justice française a mis en examen, Bank of China pour des faits de « blanchiment » issus, notamment, de fraudes fiscales) et financières en lien avec la guerre commerciale et économique entretenue par l’imprévisibilité du Président Trump, mais aussi pour des raisons structurelles, principalement due au tassement de la croissance chinoise. Pour pallier ces difficultés, le Président chinois a initié la grande foire à Shanghai (China International Import Expo – CIIE), rappelant que la Chine commerce avec le monde entier et ce faisant un chantre du multilatéralisme (en apparence) et du libre-échange, en écho au discours de Davos de 2018, précédent le début des hostilités commerciales avec l’Administration américaine. Utile donc pour la diplomatie économique de Pékin de témoigner son « ouverture » au commerce mondial via cette foire. Invités d’honneur, la France et son Président sont ainsi les représentants les plus aboutis de la stratégie chinoise d’attirer des clients et des partenaires (voire des soutiens), en pleine complication avec la puissance américaine. L’Europe volerait elle ainsi au secours de la Chine ?
Emmanuel Macron plaide, à juste titre, pour une logique européenne et rappelle que dans la rivalité sino-étasunienne, il faut trouver un accord qui « préserve les intérêts des autres partenaires commerciaux, à commencer par ceux de l’Union européenne ». Fort d’une délégation composite (quelques dizaines de patrons du CAC 40, de PME et d’ETI, du patron du zoo de Beauval, du réalisateur-acteur Guillaume Canet…) avec une coloration européenne (Phil Hogan, commissaire européen à l’Agriculture et Anja Karliczek, ministre allemande de l’Éducation et de la Recherche), le message est plutôt clair, mais sera-t-il tenable dans la durée du côté chinois, jouant des divisions intra-européennes et de duplicité dans sa politique internationale ? Lors de la visite d’État de Xi Jinping en mars dernier, le Président Macron avait déjà initié une notre très européenne, via l’invitation de la chancelière Angela Merkel et du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker aux discussions et prises de décisions. Alors que l’Union européenne recompose son analyse de la montée en puissance de la Chine non plus seulement comme un partenaire commercial de premier plan, mais aussi comme « rival systémique », le grand écart diplomatique entre la dimension économique et le silence gêné sur les questions politiques (Taiwan, Tibet, Xinjiang, Hong Kong, militarisation de la mer de Chine du Sud, etc.), humaines (dissidents, droits de l’homme, etc.) et de sécurité (douanière, cybernétique, propriété intellectuelle, etc.) est difficilement tenable.
Relation bilatérale déséquilibrée et climat des affaires compliqué
La relation franco-chinoise est très marquée par l’asymétrie et penser que la France bénéficie d’un traitement spécial favorable serait trompeur. La Chine commerce avec le monde et cherche à façonner une Europe docile et sous contrôle dont le projet Belt and Road Initiative serait l’outil.
Le déficit commercial avec la Chine est majeur, autour de 30 milliards par an, et 90 % du déficit total de la France. Les visites officielles françaises ont depuis les années 1970 toujours étaient articulées d’espérance d’accès au marché Chinois et relance de l’emploi dans l’Hexagone avec si besoin la mise en pratique de la diplomatie des pandas, symbolique animal oblige. Le marché chinois, malgré les dires de l’actuel leader du système pékinois, reste quasi fermé aux groupes étrangers, pis encore, le climat des affaires est sérieusement dégradé et compliqué depuis plusieurs années (mutation stratégique de la géoéconomie chinoise depuis la crise de 2008, autoritarisme renforcé depuis 2012 et mue de l’économie et la société en interne principalement). Ainsi, es secteurs marchent d’autres non ! Les exportations françaises sont essentiellement tirées par la vente d’avions et par le luxe. Les commandes (promises) d’Airbus A350, formidable appareil, ont boosté le commerce extérieur depuis 2018. Quant au luxe, les groupes LVMH et L’Oréal en particulier, ont d’excellentes perspectives en Asie (6 milliards d’euros par an). Les autres secteurs sont à la peine. Le nucléaire civil (groupe Orano) est en difficulté face à la résistance chinoise dans les négociations pour une usine de traitement des déchets nucléaires (plus de 10 milliards d’euros) et sa capacité à avoir bâti en trente ans un véritable consortium chinois (CNNC) presque totalement concurrent du savoir-faire français. Aussi, le régime de Pékin s’immisce toujours plus dans les affaires internes des sociétés, mettant sous pression les intérêts et performances économiques. En plus des transferts de technologie comme condition sine qua non de joint-ventures, le non-respect de la propriété intellectuelle, l’espionnage massif et le jeu inégal avec les entreprises d’État de Pékin ne favorisent pas les relations.
Dans ce cadre, la diplomatie française cherche à pousser le système chinois à évoluer et mieux ouvrir son marché à l’international. En pleine crise porcine (désastre sanitaire, fragilisation de l’économie rurale et problématique de sécurité alimentaire), la présence d’acteurs de l’agroalimentaire français et européens ne suffiront pas, mais la signature d’un accord entre l’UE et la Chine (le tout premier) sur la protection de 100 produits indications géographiques protégées et 100 produits chinois (en réciprocité) permettra ponctuellement à des produits gastronomiques d’être mieux identifiés et protégés, peut-être consommés.
Vers une européanisation en matière industrielle, sécuritaire et diplomatique avec la Chine ?
L’échelle européenne pour construire une politique solide face à la Chine est pertinente. L’initiative d’une feuille de route coordonnée en matière industrielle entre partenaires européens doit être approfondie et sanctuarisée. Si l’ouverture du Centre Pompidou (lancé sous la présidence de feu Jacques Chirac) à Shanghai revêt une importance symbolique, tout comme les échanges sur la biodiversité, le climat et l’environnement entre Xi Jinping et Emmanuel Macron, le cadre européen se doit d’aller bien au-delà. Après une première visite en Chine et l’important discours de Xi’an en janvier 2018 et ce second opus diplomatique, il est désormais le moment d’engager une réflexion en profondeur sur la sécurité économique (protection des entreprises en Chine, contre-espionnage économique et militaire), sur la diplomatie dans le cadre du concept « indopacifique » (partenaires importants et rivaux stratégiques durables de Pékin comme le Japon ou l’Inde, mais aussi l’Australie ou la Nouvelle-Zélande) et une véritable coordination industrielle et technologique seront primordiales pour l’Europe si les Européens ne veulent pas sortir de l’histoire. En somme, l’Europe doit se doter d’une véritable réflexion stratégique et cohérente dans l’environnement régional de Pékin, des sujets de sécurité à la protection de l’environnement et des ressources halieutiques, tout en construisant une analyse claire du niveau de puissance et des réalités bancaires, financières et humaines de l’actuel système chinois et de ses désirs dans le système international.