Pour l’été, nous vous suggérons deux sélections d’ouvrages couvrant les centres d’intérêts du FDBDA.
Cette première sélection fait la part belle à l’Asie, depuis les rives du Levant jusqu’au Japon, en passant par les steppes kazakhes et la péninsule coréenne.
Ces ouvrages, allant du roman à une réflexion géostratégique sur les Nouvelles Routes de la Soie chinoises, nous font entrer dans la complexité de ce vaste continent. En écho avec la crise sanitaire du coronavirus, ces huit livres rappellent combien l’Asie est fascinante et représente un paramètre clef de la politique internationale.
Bonne lecture !
Li Juan a pris ce qu’elle appelle le « chemin sauvage » – une vie et une écriture aussi loin que possible du système, sur les hauts plateaux de l’Altaï. Là où le ciel est d’un bleu étincelant, la lumière éblouissante sur les étendues immenses de la steppe. Elle y a ouvert avec sa mère et sa grand-mère un petit atelier de couture qui fait aussi épicerie, et suit les éleveurs kazakhs dans leurs transhumances. Tout a une histoire pour Li Juan, tout a une vie digne qu’on s’en souvienne : le lièvre des neiges qu’elles ont apprivoisé, le joueur de dombra près de la rivière, les « nids d’hiver » où se réfugient hommes et moutons lorsque la neige recouvre les pâturages. C’est une existence rude et solitaire, sur laquelle elle porte un regard émerveillé : ce monde dépasse tout ce qu’on peut imaginer de bienveillant, de juste et de beau.
LI Juan, Sous le ciel de l’Altaï, Editions Picquier, 208 p., 8€.
Tragédies burlesques coréennes, un recueil de nouvelles traduites du coréen. Ce recueil comprend six nouvelles :
– L’art de la controverse : le narrateur, après avoir appris l’art de la controverse avec son père, affronte un adversaire de taille, un éminent érudit.
– Lapins : mode d’emploi : un jeune couple prend chez eux un couple de lapins. La jeune femme se prend tout de suite d’un amour immodéré pour les deux petites bêtes qui meurent un jour, inexplicablement.
– Par ici, par là : Yang rejoint toujours son champ en passant « par ici ». Un jour, sans aucune raison, il passe « par là ».
– Krabi : cette station touristique en Thaïlande exerce une fascination sur le narrateur qui y a vécu des moments heureux avec sa mère. Plus tard, il veut y emmener sa copine, et là, arrive la catastrophe.
– Le chauffeur et l’économiste : un économiste à succès est conduit par un chauffeur de taxi qui lui raconte la succession des malheurs qui l’ont frappé.
– Menace sur le territoire : lors d’un voyage en train, le héros du récit défend son siège contre une succession de voisins.
Park Hyoung-su, L’Art de la controverse, L’Asiathèque, 168 p., 16€.
Ce livre lève le voile sur le rôle décisif — et totalement méconnu — qu’a joué l’Asie dès 1900 sur la scène du monde.
Sait-on ainsi que la victoire du Japon face à la Russie en 1905 a été déterminante pour le jeu des alliances qui entraîna la Première Guerre mondiale ? Ou encore que c’est en Mandchourie, dès les années 1920, que s’est mise en marche la Seconde Guerre mondiale ? Que la guerre froide est née en Asie en 1945, et que c’est également là que s’est recomposé l’ordre international, à la fin des années 1970 ?
S’appuyant notamment sur les travaux d’historiens chinois, japonais ou coréens, Pierre Grosser montre que le Royaume-Uni, la Russie et les États-Unis étaient – et sont encore – des puissances asiatiques.
Un livre qui renouvelle notre lecture géopolitique du XXe siècle et nous fait comprendre pourquoi l’Asie est si importante aujourd’hui.
Les nouveaux défis posés à l’Occident se multiplient et deviennent toujours plus complexes. L’Europe a plus de mal que jamais à penser son avenir face aux populismes et aux crises migratoires, tandis que les États-Unis sont lancés dans un retrait inédit des affaires internationales, menaçant d’anciennes alliances.
Pendant ce temps, tout au long des antiques Routes de la Soie souffle un vent d’espoir. L’époque y est à l’optimisme. Du Moyen-Orient à la Chine, de la Russie à l’Iran, les échanges se multiplient, les pays coopèrent et de nouvelles alliances sont scellées, faisant fi d’antagonismes anciens. Le contraste est saisissant avec ce qui se joue à l’Ouest.
Peter Frankopan dresse dans ce récit un tableau du monde actuel et explique pourquoi il est essentiel d’en comprendre les bouleversements. Quelles seront les répercussions de ce grand basculement des centres de pouvoir, non seulement pour nos dirigeants politiques et économiques, mais aussi pour chaque citoyen, qu’il soit voyageur, étudiant ou parent de jeunes enfants ?
L’auteur reprend le fil de l’histoire là où Les Routes de la Soie l’a laissé. Ces routes sont en pleine expansion. À nous de faire preuve de vigilance, car nous serons tous concernés.
Peter Frankopan, Les Nouvelles Routes de la Soie, Editions Nevicata, 240 p., 19€.
Depuis deux mille ans, les communautés d’une vaste région montagneuse d’Asie du Sud-Est refusent obstinément leur intégration à l’État. Zomia : c’est le nom de cette zone d’insoumission qui n’apparaît sur aucune carte, où les fugitifs – environ 100 millions de personnes – se sont réfugiés pour échapper au contrôle des gouvernements des plaines.
Traités comme des « barbares » par les États qui cherchaient à les soumettre, ces peuples nomades ont mis en place des stratégies de résistance parfois surprenantes pour échapper à l’État, synonyme de travail forcé, d’impôt, de conscription. Privilégiant des modèles politiques d’auto-organisation comme alternative au Léviathan étatique, certains sont allés jusqu’à choisir d’abandonner l’écriture pour éviter l’appropriation de leur mémoire et de leur identité.
James C. Scott propose ici une étonnante contre-histoire de la modernité. Car Zomia met au défi les délimitations géographiques traditionnelles et les évidences politiques, et pose des questions essentielles : que signifie la « civilisation » ? Que peut-on apprendre des peuples qui ont voulu y échapper ? Quelle est la nature des relations entre États, territoires, populations, frontières ?
L’histoire de la rebelle Zomia nous rappelle que la « civilisation » peut être synonyme d’oppression et que le sens de l’histoire n’est pas aussi univoque qu’on le croit.
James C. Scott, Zomia ou l’art de ne pas être gouverné, Editions Seuil, 544 p., 27€.
“Le Livre des Reines” est une saga familiale qui s’étend sur quatre générations de femmes prises dans le tourbillon tragique des guerres intestines au Moyen-Orient – au cœur de territoires de souffrance, du génocide arménien au conflit israélo-palestinien, en passant par les luttes entre chrétiens et musulmans au Liban et en Syrie.
Reines d’un jeu de cartes mal distribuées par le destin, Qayah, Qana, Qadar et Qamar constituent les branches d’un même arbre généalogique ancré dans la terre de leurs origines malgré la force des vents contraires qui tentent à plusieurs reprises de les emporter. Une lignée de femmes rousses unies par les liens du sang, par une puissance et une résilience inébranlables.
Avec la parfaite maîtrise d’une écriture finement ciselée, tout en retenue, élégante, Joumana Haddad construit un roman d’une extraordinaire intensité.
Joumana Haddad, Le Livre des Reines, Actes Sud, 272 p., 7,80€.
Une aide-ménagère est embauchée chez un ancien mathématicien, un homme d’une soixantaine d’années dont la carrière a été brutalement interrompue par un accident de voiture, catastrophe qui a réduit l’autonomie de sa mémoire à quatre-vingts minutes. Chaque matin en arrivant chez lui, la jeune femme doit de nouveau se présenter – le professeur oublie son existence d’un jour à l’autre – mais c’est avec beaucoup de patience, de gentillesse et d’attention qu’elle gagne sa confiance et, à sa demande, lui présente son fils âgé de dix ans. Commence alors entre eux une magnifique relation. Le petit garçon et sa mère vont non seulement partager avec le vieil amnésique sa passion pour le base-ball, mais aussi et surtout appréhender la magie des chiffres, comprendre le véritable enjeu des mathématiques et découvrir la formule préférée du professeur…
Un subtil roman sur l’héritage et la filiation, une histoire à travers laquelle trois générations se retrouvent sous le signe d’une mémoire égarée, fugitive, à jamais offerte…
OGAWA Yôko, La Formule préférée du professeur, Actes Sud, 256 p., 7,70€.
Kim Jiyoung est une femme ordinaire, affublée d’un prénom commun – le plus donné en Corée du Sud en 1982, l’année de sa naissance. Elle vit à Séoul avec son mari, de trois ans son aîné, et leur petite fille. Elle a un travail qu’elle aime mais qu’il lui faut quitter pour élever son enfant. Et puis, un jour, elle commence à parler avec la voix d’autres femmes. Que peut-il bien lui être arrivé ?
En six parties, qui correspondent à autant de périodes de la vie de son personnage, d’une écriture précise et cinglante, Cho Nam-joo livre une photographie de la femme coréenne piégée dans une société traditionaliste contre laquelle elle ne parvient pas à lutter.
Mais qu’on ne s’y trompe pas : Kim Jiyoung est bien plus que le miroir de la condition féminine en Corée – elle est le miroir de la condition féminine tout court.