Publié le : 09/01/2022 – Audio 03:34 Podcast RFI
Par : Heike Schmidt / RFI
4 mn
L’insécurité pourrait gâcher l’appétit chinois pour le lithium afghan – Podcast RFI
Comment relancer l’économie afghane à terre ? Les talibans comptent sur l’argent chinois. Ce sont d’ailleurs les Chinois qui ont été les premiers à leur dérouler le tapis rouge, en juillet dernier. La Chine convoite les richesses de son voisin afghan : le cuivre, le zinc et surtout le lithium, indispensable pour la fabrication des batteries de voitures électriques. Mais il est difficile d’extraire la moindre tonne de minerai, tant que l’insécurité règne dans le pays.
L’Afghanistan, « l’Arabie saoudite du lithium » ? C’est en tout cas ce que notait, en 2010, le ministère américain de la Défense. La Chine fera-t-elle main basse sur ce trésor estimé à mille milliards de dollars ? « Effectivement, le lithium est une matière stratégique dans l’innovation, précise Emmanuel Veron, géographe et spécialiste de la Chine. Il est évident que le parti communiste chinois a une visée à moyen et long terme de potentiel d’exploitation de ces réserves de lithium, autant d’ailleurs que pour le cuivre et l’or, tout en ayant des incertitudes quant à la capacité de l’extraction. »
À peine installé à Kaboul, les talibans ont fourni des visas spéciaux à cinq entreprises chinoises pour prospecter les mines du pays. Dans une interview à Voice of America, Zabihullah Mujahid, vice-ministre de l’Information et de la Culture, affirme que l’Afghanistan veut attirer des investissements chinois. « La Chine est notre voisin et une économie forte, souligne-t-il. Nous voulons développer des relations commerciales avec elle. (…) L’un des projets qui les intéressent est la mine de cuivre de Mes Aynak. Ils comptent y investir des milliards de dollars et l’Afghanistan en a besoin. Nous leur avons promis de sécuriser leurs investissements et leurs installations. »
La sécurité du produit et des installations
Mais plusieurs attaques de l’organisation État islamique au Khorassan ont jeté le doute sur la capacité des talibans à garantir la sécurité. En 2007 déjà, des compagnies chinoises y avaient laissé des plumes : elles avaient obtenu le droit d’exploiter la mine de Mes Aynak, près de Kaboul, mais le projet n’avait rien donné. « Ça n’avait pas abouti, rappelle Emmanuel Veron. Il y avait un premier volet opérationnel d’un site gigantesque évalué autour de 10 milliards de dollars d’investissement, ce qui est colossal. Malgré cela, ça n’avait pas abouti. »
Le géographe explique que ce projet n’avait pu voir le jour « à la fois pour des questions d’infrastructures et de faisabilité, mais aussi pour des incertitudes autour de la sécurité ; sécurité du site lui-même, sécurité des personnels et sécurisation du produit extrait ». « Ensuite, comment peut-on transporter ce produit ? Puisque les infrastructures afghanes sont très lacunaires et cela pose donc la question de la circulation des produits avant leur transformation vers des technologies de pointe. »
Le carrefour des nouvelles routes de la soie
Pékin est loin de l’ignorer : seul un Afghanistan pacifié pourra devenir une pièce maîtresse des nouvelles routes de la soie. « L’Afghanistan est un pays transit qui est très important pour tous les projets d’infrastructures, de connexions et de connectivité que la Chine est en train de déployer dans la région, pas seulement en Afghanistan, mais aussi par l’Afghanistan, estime Shahrbanou Tadjbakhsh, professeure à Sciences Po et conseillère de l’ONU. Pour relier l’Afghanistan aux mers chaudes du sud, pour relier l’Asie centrale et la Chine au Moyen-Orient. Pour ça, depuis 2013, la Chine a réalisé beaucoup d’investissements. Donc, c’est très important pour l’Asie centrale, pour le Pakistan et pour la Chine. »
Toutes ces routes de la soie passent par la région chinoise du Xinjiang où vit la minorité musulmane des Ouïghours. Si Pékin tend la main aux talibans, c’est donc aussi pour s’assurer que le terrorisme islamiste ne s’exportera pas vers la Chine. « Les Chinois ont peur des groupes qui sont contre le gouvernement chinois et les intérêts du gouvernement chinois, souligne Shahrbanou Tadjbakhsh. Les combattants du mouvement islamique du Turkestan peuvent être une menace pour la sécurité de la Chine. »
Et des antécédents sécuritaires dans la région ont renforcé ces craintes, selon la chercheuse. « Un exemple est l’attaque contre la mosquée de Kunduz au mois d’octobre, qui a été revendiqué par le groupe État islamique au Khorassan – au nom de ce mouvement islamique du Turkestan. Ils trouvaient que les talibans étaient trop proches des Chinois qui maltraitaient les Ouïghours. Donc, la question de la sécurité en Chine est transposée sur la problématique de la sécurité en Afghanistan. »
La priorité du moment est en conséquence le retour de l’ordre. La ruée sur l’eldorado minier viendra ensuite.