Huîtres et algues : partenaires pour le meilleur et pour le pire dans un océan en mutation

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Élevage d’huîtres en poche sur table en rade de Brest. Les poches d’huîtres sont recouvertes d’algues vertes. Au sol, les algues vertes coexistent avec les fucus. F. Pernet/Ifremer, CC BY-NC-ND

Fabrice Pernet, Ifremer

Bien que les algues et les huîtres n’aient pas de liens évidents – les huîtres ne mangent pas les algues, elles ne sont pas en compétition pour les ressources, elles ne se parasitent pas – les algues et les huîtres sont reliées par l’eau de mer et partagent de nombreux microbes.

Ainsi, par leur simple présence, les algues pourraient influencer le « microbiote » des huîtres, c’est-à-dire l’ensemble des micro-organismes associés tels que bactéries, virus, et champignons, avec des conséquences sur leur réponse immunitaire et leur santé. Comme chez l’homme, le microbiote peut aider ou nuire à la santé de l’huître et à la lutte contre les maladies.

Partout dans le monde, des huîtres malades

Cette hypothèse a germé 10 années après qu’ostréiculteurs et scientifiques aient constaté en 2008 des mortalités massives dans les élevages de jeunes huîtres creuses.

Ce phénomène, qui se reproduit tous les ans au printemps, a rapidement été associé à une infection par un nouveau variant de l’ostreid herpesvirus, dont la souche de référence avait été découverte dans les années 1990. En quelques années, ce variant s’est propagé le long du littoral européen, de l’Espagne au sud de la Norvège, et des variants étroitement liés ont été détectés en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Asie. Ce virus est une contrainte pour la production d’huîtres dans le monde.

Une étude récente a montré que l’infection virale provoque chez l’huître un état immunodéprimé suivi d’une « dysbiose », c’est-à-dire un déséquilibre du microbiote. La dysbiose conduit à une colonisation secondaire par des bactéries opportunistes et à la mort de l’huître.

Culture bactérienne sur gel en laboratoire pour analyser le microbiote des huîtres. F. Pernet/Ifremer, CC BY-NC-ND

Dans cette maladie, le remaniement du microbiote de l’huître fait partie intégrante du processus infectieux induit par le virus. Étant donné que le microbiote des huîtres est variable selon le site d’élevage, le régime alimentaire, la température, ou la présence d’antibiotiques, il est possible de le modifier naturellement pour renforcer les défenses de l’huître contre l’infection virale.

Algues vertes, brunes et rouges

Les algues sont particulièrement intéressantes, car elles abritent une riche diversité de bactéries associées, variable selon les espèces, qui peuvent être bénéfiques aux organismes reliés comme les huîtres.

C’est donc naturellement que nous est venue l’idée de vérifier si les algues vivant en association avec les huîtres pouvaient altérer leur microbiote, positivement ou négativement, et ainsi influencer leur réponse à une maladie.

Nous avons donc exposé des huîtres à des algues vertes (Ulves), brunes (Fucus) ou rouges (cordes de Solier) prélevées en rade de Brest, dans des conditions de laboratoire pendant deux semaines au printemps 2018, avant de les confronter au virus. Ces espèces d’algues ont été choisies, car elles se développent dans des habitats différents, plus ou moins touchés par les activités humaines, et leur microbiote bactérien devait être différent.

Les ulves et les fucus coexistent naturellement avec les huîtres tandis que les cordes de Solier se trouvent à proximité dans les zones plus profondes.

La prolifération des ulves est généralement associée à « l’eutrophisation », c’est-à-dire à l’enrichissement en nutriments au-delà de la capacité d’autorégulation des écosystèmes. En Bretagne, depuis les années 1970, les algues vertes pullulent chaque année à la fin du printemps ou au début de l’été, donnant naissance au phénomène de « marées vertes ».

Les cordes de Solier se retrouvent le plus souvent dans des zones abritées saines en eaux calmes. Dans la rade de Brest, cette espèce se trouve dans des zones localement protégées.

Vue aérienne d’un élevage d’huîtres en poche en rade de Brest. Certaines poches sont recouvertes d’algues vertes et on peut distinguer des taches d’algues brunes au sol. F. Pernet/Ifremer, CC BY-NC-ND

Une surmortalité établie en lien avec les algues vertes

Le risque de mortalité des huîtres était deux fois plus élevé en présence d’ulves que dans la condition témoin sans algue, et cette surmortalité était associée à une prolifération virale accrue, une dysbiose du microbiote bactérien, et une surexpression des défenses immunitaires. Ces données inédites sont détaillées en ce début février 2022 dans la revue scientifique Journal of Animal Ecology.

Nous savions que la prolifération des algues vertes avait des impacts majeurs sur les animaux vivant sur le fond, mais aucune étude n’avait établi de lien possible avec une maladie marine.

Deux années après le début de nos expérimentations, nous avons confirmé ces résultats avec des ulves provenant de plusieurs sites bretons différents.

Il s’agit maintenant de déterminer l’importance des ulves en tant que facteur de risque de mortalité dans les élevages sur le terrain. Pour cela, une étude épidémiologique d’envergure est incontournable. L’augmentation des marées vertes dans le monde due à l’eutrophisation pourrait avoir des conséquences sur le risque d’émergence de maladies qu’il faut évaluer précisément.

En attendant cette vaste étude épidémiologique, les ostréiculteurs peuvent, à leur échelle, limiter la prolifération des ulves dans leurs élevages en ajoutant des bigorneaux brouteurs, une sorte « d’auxiliaire » facilitateur. Cette pratique, qui a pour objectif initial de réduire le temps de nettoyage des poches tout en maintenant la circulation de l’eau autour des huîtres, pourrait ainsi améliorer la santé des cheptels.

Les algues, créatrices de refuges contre l’acidification des eaux

Contrairement aux ulves, nos expériences montrent que les fucus n’ont aucun effet, et les cordes de Solier réduisent le risque mortalité des huîtres d’un facteur deux par rapport au témoin. Bien que ce résultat ne fût pas significatif sur le plan statistique, la présence de certaines espèces d’algues pourrait être bénéfique à la santé des huîtres.

Huître sauvage entourée de fucus. Les fucus n’ont pas d’effet sur la résistance des huîtres à la maladie. E. Dugeny/Ifremer, CC BY-NC-ND

Alors que l’océan, en absorbant près d’un quart des émissions humaines de CO2, s’acidifie à un taux sans précédent historique, au point de menacer la vie des coquillages, le partenariat avec les algues est plein de promesses.

Grâce à la photosynthèse, les algues captent en effet le CO2 pour le transformer en sucre et diminuent ainsi l’acidité de l’eau. Les algues créent ainsi des refuges contre l’acidification favorables à la croissance des coquillages.

Si la co-culture des algues et des coquillages représente une option sérieuse pour limiter les effets de l’acidification, il faut néanmoins prendre en compte les impacts sur la santé des animaux et choisir les meilleures associations possible.

Impact de l’acidification sur la croissance de l’huître. Ces coquilles ont été photographiées après 23 jours d’exposition à des conditions ambiantes (haut) et acidifiées (bas). Les coquilles en milieu acidifié étaient plus petites et décolorées par rapport au témoin. F. Pernet/Ifremer, CC BY-NC-ND

Une interaction valable bien au-delà de la conchyliculture

Ce que nous avons montré dans notre récente étude pour un système d’interaction simple incluant algues et huîtres s’applique à toutes autres espèces.

La conchyliculture, comme d’autres activités de production alimentaire tributaire du milieu naturel, telles que la production de miel ou de vin par exemple, devra s’adapter au changement climatique et au risque croissant de maladies.

Ainsi, on parle souvent de luttes : lutte contre l’acidification, lutte contre les maladies, lutte contre la pollution. Toutes ces luttes convergent et la clé de voûte est la « résilience », c’est-à-dire la capacité d’un système vivant à retrouver son état de référence (ou un nouvel état d’équilibre) après une perturbation.

Pratiquement, cette résilience des écosystèmes passe par le maintien de la biodiversité qui assure la complémentarité et la redondance des fonctions entre espèces. C’est l’objectif que nous devons garder en ligne de mire.


Elyne Dugeny, Julien de Lorgeril, Bruno Petton, Eve Toulza et Yannick Gueguen sont co-auteurs de cet article.

Fabrice Pernet, Chercheur en biologie marine, Ifremer

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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