L’axe des totalitarismes que l’on voyait progresser depuis longtemps se développe de jour en jour. On le voit désormais apparaitre en pleine lumière. Et son objectif de destruction du monde libéral est clairement affiché. La guerre engagée contre l’Ukraine par le dictateur russe, depuis le 24 février, en est une évidente manifestation.
Les destructions systématiques qui sont conduites par l’armée russe ont pour objectif d’abord de châtier la population ukrainienne qui a osé défier le suzerain russe en revendiquant sa liberté mais aussi de montrer que le dictateur peut tout se permettre contre ceux qui veulent rejoindre le monde des démocraties libérales. Il peut utiliser la violence la plus extrême sans la moindre hésitation.
Les affirmations idéologiques sont claires tant de la part de la dictature russe que de la part de la dictature chinoise. Et tous les régimes qui, à travers le monde, sont des ennemis de la liberté se rallient, plus ou moins ouvertement, à cet axe totalitaire. C’est évidemment le cas des dictatures communistes historiques, de la Corée du Nord à Cuba et au Venezuela, mais c’est le cas aussi de nombreux régimes islamiques qui partagent la même vision autocratique du monde et se réjouissent de trouver des références et des soutiens pour justifier la domination liberticide de leurs peuples.
Les dictateurs russes et chinois, étroitement alliés, défient les pays occidentaux et se font fort de contourner toutes les sanctions qui ont été décidées, avec la complicité de nombreux autres pays à travers le monde qui espèrent bien tirer profit de cette situation d’affaiblissement des démocraties occidentales. Ils accueillent à bras ouverts les oligarques russes et leurs investissements.
Les dictatures russe et chinoise, tout comme l’islamisme intégriste, sont nos ennemis idéologique, politique et stratégique. Cette situation, longtemps dissimulée, est désormais affichée au grand jour. Les textes publiés par les idéologues russes sont particulièrement explicites à cet égard.
Cette situation bouleverse évidemment complètement la mondialisation et les interdépendances économique, financière, touristique qui s’étaient épanouies depuis quelque 40 ans. Et il faut désormais défaire en urgence les liens étroits qui s’étaient établis et qui entrecroisaient les intérêts économiques et financiers développés à l’échelle globale. La difficile situation des entreprises occidentales en Russie le montre à l’évidence. Les pays occidentaux et leurs entreprises prennent aujourd’hui conscience qu’ils ne peuvent continuer à dépendre économiquement de leurs ennemis !
Les régimes totalitaires se sont démasqués. Ils veulent abattre notre modèle et n’hésitent pas à utiliser tous les moyens pour le faire. C’est l’affrontement de deux blocs complètement antagonistes relevant de deux systèmes totalement opposés. C’est donc une guerre totale, de système et de valeurs, qui est engagée. Il y a d’un côté un système fondé sur la liberté et la démocratie et de l’autre un système fondé sur l’identité et l’autorité. Les systèmes totalitaires veulent dissimuler cette réalité sous un discours d’affrontement national en faisant croire que c’est la Russie ou la Chine qui sont menacées. Alors qu’il s’agit de permettre aux peuples de ces pays et du monde entier de bénéficier des libertés auxquelles tout humain doit pouvoir accéder.
Chacun des deux blocs en présence a ses forces et ses faiblesses.
La force des totalitarismes c’est leur monolithisme. La faiblesse des totalitarismes c’est leur monolithisme. Ils ont la force d’un pouvoir homogène, illimité, incontesté et de longue durée. Depuis son arrivée au pouvoir, Vladimir Poutine a connu quatre présidents américains, de couleurs politiques différentes, et quatre présidents français également de familles politiques différentes ! Comme Xi Jing Ping, il a évidemment la force de la continuité. De même que le dictateur chinois, il est à la tête de son pays depuis longtemps et pour encore longtemps. Cela lui donne, évidemment, une force dont il joue en permanence.
Bien sûr, ces régimes totalitaires bénéficient de l’absence totale de contestation interne. Dans ce type de régime tout opposant est soit un bandit et il faut le condamner, soit un fou et il faut l’interner soit une traître et il faut le fusiller. Tous les régimes dictatoriaux ont mis en œuvre ce programme avec un discours de « purification » tel que l’exprime à nouveau Vladimir Poutine aujourd’hui. Tout individu qui ne se soumet pas à la ligne officielle est un ennemi et un traître qu’il faut éliminer.
Les faiblesses sont connues aussi. Elles s’appellent inertie, blocage et absence d’initiative. Elles s’appellent corruption, clientélisme, népotisme, au bénéfice de l’oligarchie qui entoure le détenteur du pouvoir. Elles s’appellent guerres de clans pour la distribution du pouvoir et de ses prébendes et notamment pour organiser les successions.
La Russie tsariste s’est terminée sur un échec et a disparu dans un chaos tragique. Elle était à la tête d’un empire immense, étendu de la Pologne au Pacifique et à l’Asie centrale, et elle n’a pas pu le maîtriser. L’autocratie tsariste s’est effondrée. L’URSS communiste a recréé cet empire, encore plus vaste, après les accords de Yalta mettant fin à la seconde guerre mondiale. Elle n’a pas, non plus, été en capacité de le maîtriser et l’URSS a disparu. La dictature communiste s’est effondrée. La Russie post-communiste de Gorbatchev, Eltsine, Poutine, est affrontée à la même situation. Vladimir Poutine essaie de reconstituer l’empire, à nouveau soumis à une autocratie absolue, mais se heurte à la même difficulté d’être capable de le gérer. Il ne peut tenter de le faire qu’en accroissant tous les jours la répression interne et en développant un discours de forteresse assiégée. La guerre est une fuite en avant permettant d’escamoter les incapacités et les vices internes du système autocratico-oligarchique ainsi mis en place, en détournant l’attention de la population par un discours nationaliste extrémiste et des agressions militaires.
Mais ce système dispose aujourd’hui d’une très grande force qui vient de la capacité à organiser un bloc énorme des totalitarismes par une alliance continentale avec la Chine et une influence accrue sur tous les continents.
La force des démocraties c’est leur pluralisme. La faiblesse des démocraties c’est leur pluralisme. La force des démocraties c’est évidemment la liberté qui permet toutes les initiatives, les créations, les inventions, dans tous les domaines grâce à la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté économique. Mais les démocraties libérales ont évidemment également les faiblesses nées de ces mêmes libertés. Il s’agit de la difficulté à organiser et gérer des sociétés de liberté donc diverses, complexes et, par définition, pluralistes. Il est difficile de trouver un point d’équilibre entre la liberté clairement affirmée et la définition d’un intérêt général collectif, entre la liberté et la responsabilité. Il est difficile de défendre la liberté tout en luttant contre les inégalités. Il est difficile de contrer les forces internes hostiles qui contestent les principes de démocratie libérale et veulent instaurer un système autoritaire soit de type communiste en abolissant la liberté économique soit de type nationaliste en développant l’intolérance contre tout ce qui n’est pas identitaire. Il est difficile de défendre la dimension universaliste des valeurs de liberté, de démocratie, de progrès, de science et de connaissance, à l’échelle mondiale en dépassant les intérêts nationaux installés. Il est difficile de se défendre contre les agressions multiples des régimes totalitaires qui n’hésitent pas à employer toutes les formes possibles d’attaques jusqu’à la violence militaire la plus extrême comme on peut le constater aujourd’hui en Ukraine.
Bien sûr, les tentations oligarchiques existent également en système libéral. Bien sûr le poids de l’argent, de la richesse et de sa transmission, pèsent sur le fonctionnement démocratique et sur l’égalité de traitement entre les citoyens. Mais les outils existent pour s’y opposer, égalité de droit, égalité politique, égalité des chances, liberté d’opinion et d’expression sont autant d’éléments qui permettent de lutter contre les dérives toujours possibles. Et l’histoire montre que le système de démocratie libérale, malgré tous ses défauts, est celui qui fonctionne le mieux et qui est le plus efficace à cet égard. Et c’est bien ce qui irrite les dictateurs de tout poil qui veulent absolument le faire disparaître.
La situation d’aujourd’hui est bien celle d’un affrontement d’idéologie et de système. Le camp de la démocratie libérale est, une nouvelle fois, affronté au camp du totalitarisme. Nous sommes entrés dans la phase active de cette guerre. Il y a d’un côté ceux qui défendent la liberté, la démocratie et la paix, pour tous les peuples du monde, et de l’autre ceux qui prônent l’identitarisme, l’autoritarisme et l’affrontement de puissances.
Par deux fois déjà, dans le passé, cet affrontement a eu lieu. Il s’est terminé par la victoire sur le nazisme et le militarisme japonais en 1945 et par la victoire sur l’URSS communiste en 1989.
Le système de démocratie libérale doit l’emporter une nouvelle fois. Mais cette guerre sera longue. Il faut donc se préparer à des situations très graves qui auront des conséquences douloureuses pour toutes les populations du monde et notamment dans les pays de démocratie libérale. Leurs opinions publiques ne sont certainement pas prêtes à ces affrontements et à leurs conséquences. En témoigne par exemple, la nécessaire relance des dépenses militaires. L’Europe qui, après 1989, avait voulu « toucher les dividendes de la paix » en diminuant fortement ses dépenses militaires, se retrouve obligée de les augmenter en urgence pour essayer de faire face aux énormes investissements des puissances totalitaires en ce domaine et à la pression qu’elles font subir partout dans le monde et, désormais, jusque dans l’espace.
La liberté n’est pas circonscrite à un territoire. Elle ne s’exerce pas dans le cadre de frontières. La liberté est universelle et elle doit être donnée à tous.
Pour affronter les problèmes globaux de l’humanité quel modèle va s’imposer, le modèle de la liberté ou le modèle de l’autoritarisme ? C’est l’enjeu de la guerre qui est aujourd’hui ouverte par le dictateur russe et tous ceux qui le soutiennent. Il faut dire clairement que le souverainisme, autre nom de l’égoïsme national, n’est pas la solution mais le problème. Pour affronter les défis globaux du monde d’aujourd’hui il faut développer la collaboration pacifique entre tous les Etats du monde en s’appuyant sur les valeurs universelles de liberté et de démocratie.
L’Europe doit peser de tout son poids pour que ces valeurs puissent l’emporter partout dans le monde et qu’elles permettent de construire une véritable gouvernance mondiale capable d’affronter les redoutables problèmes collectifs, planétaires, qui sont devant nous. La tâche sera rude. Elle demande donc une mobilisation de tous. Une Europe unie aura la dimension et la puissance nécessaire, dans le cadre de l’OTAN, pour résister à la pression totalitaire et faire avancer la cause de la paix et de la liberté.
Jean-François CERVEL