Gouvernance mondiale et monde d’après (2/2)

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ThucyBlog n° 222 – Gouvernance mondiale et monde d’après (2/2) par Jean Daspry, le 2 juin 2022 (ThucyBlog).

Crédit photo : Number 10 (licence CCA).

Gouvernance mondiale et/ou nationale ?

Assumer le monde tel qu’il est et non tel qu’il fut permettrait de poser les grands principes appelés à le régir. Ils supposent la recherche d’une double cohérence, idéologique et fonctionnelle.

Cohérence idéologique : le monde de l’absurde

Aujourd’hui, l’approche suivie démontre l’absence de socle idéologique et de continuité.

Absence de socle idéologique. Le monde de demain ne s’accorde pas aux paradigmes de la gouvernance mondiale de l’après Seconde Guerre mondiale. L’histoire démontre les inconvénients de l’absence de cohérence idéologique, intellectuelle, conceptuelle. L’absence d’action, le refus de prendre à bras-le-corps les problèmes qui crèvent les yeux de chacun (les échecs de la « mondialisation heureuse ») finiront par hystériser les relations interétatiques dans un monde à bout de souffle. Le monde d’après se construira, non sur des discours creux sans contenu concret (à titre d’exemple, « un multilatéralisme de bonne volonté », expression chère au Quai d’Orsay), mais sur la base du réel, du bon sens, du pragmatisme.

Drôle d’époque où la lâcheté à appeler un chat un chat aime se faire passer pour le parachèvement de la lucidité. La guerre froide avait ses certitudes. Les lignes directrices des dirigeants du XXIe siècle sont floues. Ils avaient oublié que l’Histoire est tragique. Ils le redécouvrent. Ils manquent de la cohérence de leurs prédécesseurs de la seconde moitié du XXe siècle. À trop faire l’impasse sur la constance, l’heure des conséquences fâcheuses risque fort de sonner dans un avenir proche tel un coup de tonnerre dans un magnifique ciel bleu (Cf. le conflit russo-ukrainien). Et cela d’autant plus que leurs lunettes théoriques sont embuées et que leur action s’inscrit durablement dans la discontinuité.

Absence de continuité. À quoi assistons-nous si ce n’est à un effacement de l’esprit – surtout au pays des lumières – devenu incapable de comprendre les permanences de l’histoire ? La croyance aveugle en l’aide de la machine, de l’intelligence artificielle (ia) pousse au laisser-faire. De nos jours, le bon sens n’est plus la chose du monde la mieux partagée, pour contredire René Descartes. C’est à cette capacité de jugement que l’on reconnait un véritable homme (femme) d’État, un visionnaire. Capacité à apprécier la permanence dans la volatilité d’une situation.

Comme le souligne Michel Barnier : « Il y a une défiance croissante, sans doute due en partie au règne de l’immédiateté, accentuée par les réseaux sociaux, qui pousse les hommes et femmes politiques à des effets d’annonce et aux petites phrases comme aux petites mesures ». Surtout à une époque où nos dirigeants semblent découvrir l’importance de la dimension historique des problèmes de la planète alors que nous vivons dans un monde éclaté, concurrentiel, tourmenté. Faire l’impasse sur leur genèse, leur origine conduit souvent à agir en aveugle, à se condamner à l’échec. Ils semblent également découvrir qu’il est indispensable de porter le bon diagnostic sur les maux du monde pour y apporter dans la continuité, la cohérence les remèdes idoines et non improviser au fil de l’eau des solutions aussi improbables qu’inefficaces.

Faute d’une vision claire, nos dirigeants oublient la cohérence fonctionnelle de la gestion des crises.

Cohérence fonctionnelle : le monde de la surprise

Cette incohérence se manifeste par une double absence, de pragmatisme et de réactivité.

Absence de pragmatisme. Nos dirigeants se gargarisent avec le terme de modernité. Ils réalisent, désenchantés qu’aucun d’entre eux n’a la moindre idée de la réponse crédible à apporter face à la révolution secoue la planète. Ils ne voient pas d’autorité capable de montrer le chemin de la clarté. À trop s’appuyer sur des principes inopérants dans le contexte actuel, ils finissent par céder. Mais, il faut faire preuve de pragmatisme en ayant recours aux outils de la diplomatie d’hier qui peuvent s’avérer très utiles pour combler le vide au-dessus duquel nous évoluons tels des somnambules.

Entre passéisme et modernisme, il existe une voie étroite pour trouver des solutions pragmatiques à des problèmes complexes. Cessons de rabâcher les dogmes, les catéchismes du XXe siècle pour affronter les défis du XXIe siècle ! Il n’existe pas de « communauté internationale ». Cessons d’être pris par la lassitude, mauvaise conseillère dans les relations internationales ! Le vent a tourné. Innovons en nous inspirant des expériences du passé pour les adapter aux contraintes du présent. L’alchimie diplomatique est différente de celle d’hier. Privilégions l’esprit de coopération sur les surenchères et sur les polémiques dans une démarche de réactivité.

Absence de réactivité. Au niveau universel, la machine est durablement grippée. Au niveau régional, combien d’années perdues aura-t-il fallu à l’Union européenne pour voir dans la Chine un « rival systémique » qui a su tirer profit de tous les avantages d’une mondialisation folle ? Fracturée à l’intérieur, elle ne peut s’accorder sur les grandes problématiques extérieures. On reste sans voix en découvrant le slogan de l’Union européenne : « Faisons du rêve européen une réalité ». Il faut redescendre sur terre. C’est là où se frottent les intelligences, s’affrontent les volontés et se confrontent les opinions, là où celui qui a le souci de la Cité, de ses diplomates, de ses soldats, de ses chercheurs indépendants, des représentants de la société civile, fort de points de vue mûris et documentés, débat et intervient.

Après les élections présidentielles d’avril 2022 et comme le promet Emmanuel Macron, les mois qui viennent ne manqueront pas de fournir matière à réflexion et action dans les domaines de la paix, de la sécurité, et sur biens d’autres sujets régaliens. Il faudra saisir les occasions offertes, au-delà des controverses de forme qui ne sont pas toutes négligeables, pour que soient mis en lumière, avec intelligence et souci du Bien Commun, les grands enjeux qui conditionnent notre avenir et que soient explicitées les réponses que les dirigeants de la planète souhaitent y apporter. Pour intéressante, qu’elle soit, l’initiative inédite de l’Assemblée générale de l’ONU (résolution A/RES/76/262 adoptée par consensus le 26 avril 2022) proposant sa réunion automatique dans les dix jours suivant l’utilisation du droit de veto par l’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité 2022 ressemble à une solution en trompe-l’œil, ne s’attaquant pas aux racines du mal. Le volontarisme affiché ne dit rien du changement complet de gouvernance qu’il faudra assumer pour passer effectivement au monde d’après.

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« En France, on laisse en repos ceux qui mettent le feu, et on persécute ceux qui sonnent le tocsin » (Nicolas de Chamfort). Sans clarté sur ce qu’elle signifie, la gouvernance mondiale n’a plus de raison d’être. Clarté sur ses modalités et sur ses objectifs. Veut-on continuer à psalmodier le mantra d’une gouvernance floue ? À confondre objectifs et moyens, l’on se fourvoie dans des impasses. Dans les relations internationales comme en philosophie, il faut s’entendre sur le sens des mots. Même si idéalisme et réalisme ne sont pas nécessairement antagonistes, il importe de faire la part des choses, entre le possible et le souhaitable, le monde réel et le monde idéal ou idéalisé. La recherche d’un consensus en trompe-l’œil avère aussi paralysante que l’excès de bureaucratie. L’inflation de polémiques excessives, les fausses solutions à de véritables problèmes sont hasardeuses. Elles minent la confiance qui fait tant défaut pour bâtir un nouvel ordre international sur des bases solides et pérennes.

Apprenons à écouter les autres, à faire des efforts pour les comprendre au lieu de pratiquer le déni du réel, le dédain de celui qui ne nous ressemble pas. « Il faut entendre tout le monde pour éviter l’entre-soi ». Ainsi, comprendra-t-on mieux le monde, ses ressorts, ses crises…. Aujourd’hui, notre réflexion devrait s’attacher à trouver des outils de réaction aux crises mieux calibrés, mieux adaptés et donc plus efficaces. Ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons nous préparer au monde d’après et à la gouvernance mondiale idoine pour amortir les chocs.

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