Penser la Nouvelle-Calédonie dans la stratégie indopacifique de la France (1/2)

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ThucyBlog n° 219 – Penser la Nouvelle-Calédonie dans la stratégie indopacifique de la France (1/2) Par Marcello Putorti, le 23 mai 2022 (ThucyBlog).

Crédit photo : Thomas Cuelho (licence CCA).

Le 16 puis le 17 février dernier, l’Assemblée Nationale a successivement publié un rapport d’information sur « l’espace indopacifique enjeux et stratégie pour la France » de la Commission des affaires étrangères et sur « les enjeux de défense en Indopacifique » de la Commission de la défense nationale et des forces armées. Quatre ans après le discours emblématique de Garden Island (Macron, 2018), par lequel le président ouvrait la voie à la formalisation d’une doctrine française de l’indopacifique, et à l’issue de l’affaire Aukus, qui a douloureusement bousculé le déploiement de cet agenda, ces rapports caractérisent, à date, la vision française des différents enjeux que ramasse le concept d’indopacifique.

Des outremers au fondement de l’approche française mais pas au centre de sa réflexion

Ces rapports engagent une analyse de la situation, dont découlent un certain nombre de propositions d’ordre stratégique. L’une d’entre elles doit, semble-il, particulièrement retenir l’attention : « Inciter pleinement nos outremers à contribuer, dans leurs domaines de compétences aux priorités de la stratégie indopacifique de la France » (Amadou & Herbillon, 2022, p. 12 et p. 117). Cette proposition n’est pas sans soulever un épineux problème. Si, en effet, les outremers français, des deux océans unis par le concept d’indopacifique, constituent « une source de légitimité permettant de justifier notre présence dans la région […] la contribution qui peut être celle de ces territoires dans notre stratégie est largement laissée sous silence » (Amadou & Herbillon, 2022, p. 116). Ce constat se reflète dans les rapports eux-mêmes, dont les mentions de nos outremers interviennent de façon anecdotique. Il y a donc un paradoxe à ce que la France s’est appropriée le concept d’indopacifique au travers de ses outremers mais n’a pas fait de ces derniers le centre de son approche réflexive et pratique.

 Cette absence de réflexion particulière sur le rôle concret de l’outre-mer dans le cadre plus général de la stratégie française est, pour ainsi dire, aggravé dans le cas particulier de la Nouvelle-Calédonie, dont le devenir institutionnel en mouvement se superpose aux enjeux régionaux. À l’issue des trois « non » consécutifs exprimés lors des consultations sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté de 2018, 2020 et 2021, portant sur l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie, le « pays » devra réaliser un référendum de projet prévu au plus tard pour le 30 juin 2023 (Ministère des outre-mer, 2021, p. 5 et p. 45).

Les incertitudes liées au devenir de la Nouvelle-Calédonie, bien que son maintien dans la République soit désormais formellement garanti, auront un impact sur le rôle de ce territoire dans la stratégie française. Au-delà de la nécessité de dépasser la vision simplement « utilitaire de nos outremers » (Mohamed-Gaillard, 2021, p. 5), la Nouvelle-Calédonie est tout particulièrement un acteur complexe, traversé par des intérêts multiples. Il semble donc utile de s’attarder sur la place spécifique de la Nouvelle-Calédonie dans la stratégie française et inversement d’interroger la réception et l’appropriation par les acteurs calédoniens du concept d’indopacifique, afin de situer les liens intrinsèques de la politique et de la stratégie qui s’y articulent.

Comme le reste des outremers, la Nouvelle-Calédonie est ponctuellement mentionnée par les rapports des deux commissions mais c’est toujours comme, pour ainsi dire, un vecteur de l’action française, dont l’impulsion est métropolitaine. En premier lieu, la Nouvelle-Calédonie apparait comme un vecteur de légitimation de la France à la faveur de sa présence historique et continue dans la région (Amadou & Herbillon, 2022, p. 65 et Dumas et al., 2022, p. 8, p. 23, p.24 et 68). D’autre part, elle permet de souligner des actions concrètes, notamment effectuées par les forces armées de Nouvelle-Calédonie (FANC) pour des opérations d’aide internationale, comme ce fut le cas pour le Vanuatu après le cyclone Harold (Dumas et al., 2022, p. 25) ou plus récemment après l’éruption du volcan Hunga Tonga (Amadou & Herbillon, 2022, p. 117), mais ce toujours au titre de vecteur de nos forces armées.

La Nouvelle-Calédonie est encore évoquée comme un vecteur de risques, dont la France doit prendre conscience pour pouvoir les traiter. C’est le cas pour le changement climatique (Dumas et al., 2022, p. 25) mais aussi pour la poussée de l’influence chinoise de la région (Amadou & Herbillon, 2022, pp. 33-34.), dont le contexte calédonien avait déjà été souligné par l’important rapport de l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire (Charon & Vilmer, 2021, p. 395). C’est donc conséquemment que la proposition des deux rapports se résume à un renforcement de l’existant. Il est question de renforcer l’arsenal de projection militaire de la France en notant que ce renforcement a déjà été amorcé (Dumas et al., 2022, p. 59 et p. 77). En fait, la Nouvelle-Calédonie n’apparaît comme acteur à part entière que pour la spécificité de ses ressources en nickel (Amadou & Herbillon, 2022, p. 104) et de son statut d’acteur international aux vues de ses compétences internationales se manifestant concrètement par sa présence dans différentes organisations régionales (Amadou & Herbillon, 2022, p. 82 et p. 104).

La Nouvelle-Calédonie comme acteur international à l’échelle infranationale

Ce dernier point mérite d’être développé. Disposant d’une diplomatie pour ses instances multilatérales et des relations bilatérales au titre de la loi organique du 21 mars 1999, la Nouvelle-Calédonie est de jure et de facto un acteur international. L’action internationale de la Nouvelle-Calédonie, comme entité propre, est exercée par le Service de Coopération Régionale et des Relations Extérieures (SCRRE). À ce titre, le pays a déployé des délégations auprès de l’Australie, Fidji, la Nouvelle-Zélande, la Papouasie Nouvelle-Guinée et le Vanuatu. Le SCRRE coordonne l’action de la Nouvelle-Calédonie au sein des organisations internationales et régionales, dont le pays est membre, conduit et développe des actions de coopération engagées avec les États et territoires du Pacifique et assure le suivi et la mise en œuvre opérationnelle des dossiers relevant des domaines économiques ou commerciaux. Enfin, il assure la conduite et le suivi de la relation d’association de la Nouvelle-Calédonie à l’UE. C’est dans ce cadre que la Nouvelle-Calédonie préside actuellement l’Overseas Countries and Territories Association (OCTA), comprenant l’outremer des pays membres de l’UE.

Elle ne peut donc être considérée comme un simple vecteur de l’influence multidimensionnelle de la France. Ou plutôt, il s’agit d’un vecteur disposant d’un agenda propre, dont rien n’indique qu’il s’articule a priori avec la stratégie nationale dans la région. Or les vives tensions politiques liées à l’avenir institutionnel de l’archipel seront et sont déjà constitutives du positionnement de la Nouvelle-Calédonie comme acteur international. Encore faut-il comprendre comment s’articulent les moyens dont dispose la Nouvelle-Calédonie pour se projeter à l’international et les intérêts que les acteurs calédoniens identifient pour le pays. Plus difficile encore à saisir, au-delà de la collectivité du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, les acteurs internes sont autant d’entités pouvant potentiellement se projeter à l’international et y développer leur propre agenda. Or, cette diversité d’acteurs et d’intérêt mériterait, sinon d’être résumé, du moins d’en extraire l’importance afin de situer comment les préoccupations stratégiques nationales trouveront des relais ou des freins locaux.

Bibliographie 

AMADOU Aude et HERBILLON Michel, Assemblée Nationale, Commission des Affaires étrangères, Rapport d’information sur l’espace indopacifique : enjeux et stratégie pour la France, 16 février 2022.

CHARON Paul et VILMER J.-B. Jeangène, « Les Opérations d’influence chinoises. Un moment machiavélien »rapport de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), Paris, ministère des Armées, septembre 2021.

DUMAS Françoise, DE LA VERPILLÈRE Charles, MICHEL-BRASSART Monica et TRASTOUR-ISNART Laurence, Commission de la défense nationale et des forces armées, Rapport d’information sur les enjeux de défense en Indopacifique, 17 février 2022.

MACRON Emmanuel, « Discours à Garden Island, base navale de Sydney »Élysée, 3 mai 2018.

Ministère des Outre-mer, « Discussion sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, les conséquences du « oui » et du « non » », Juillet 2021.

MOHAMED-GAILLARD Sarah, « La Nouvelle-Calédonie, et maintenant ? Innover politiquement et mobiliser un acteur de l’indopacifique »ifri, n°95, Décembre 2021.

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