OCS*, un sommet contre l’Occident pour un monde multipolaire ?

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*Organisation de Coopération de Shanghai -Sommet 2022 – Samarcande.

Alors que la guerre en Ukraine connait une nouvelle dynamique, l’actualité internationale a été très récemment imprégnée par une réunion internationale d’Etats eurasiatiques à Samarcande (Ouzbékistan), dont il faut saluer l’intérêt des rédactions de presse et de télévisions, permettant une meilleure compréhension des enjeux auprès des opinions.

Le sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) les 15 et 16 septembre marque les relations internationales contemporaine pour au moins trois grandes raisons : un sommet international rassemblant plus d’une quinzaine d’Etats représentant plus de 40 % de la population mondiale (plus de 3,5 milliards d’humains) ; un club de puissances nucléaires non-occidentales (Chine, Russie, Inde, Pakistan et… Iran), enfin, l’évidente perte d’influence russe au profit de la Chine dans cet immense espace eurasiatique. Deux jours importants dans l’agenda international, où les Etats, en premier lieu les pôles de puissance très hétérogènes affichent leurs ambitions et recomposent, à l’aune de l’affaiblissement russe, leurs priorités de politique internationale.

Qu’est-ce que l’OCS ? Une organisation régionale et un club de puissance nucléaire non-occidentale

D’abord, ce que n’est pas l’OCS : une alliance, une OTAN eurasiatique ou encore une sorte de « G20 bis ». Cette organisation encore trop méconnue en occident est le produit dans les années 1990 de la recomposition de l’ordre international après l’implosion de l’URSS, où Pékin souhaitait affirmer progressivement son influence dans son pourtour asiatique. Depuis la première réunion en 1996 à Shanghai, alors nommée le « Groupe de Shanghai », la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Tadjikistan et le Kirghizistan, la diplomatie chinoise et eurasiatique ont institutionalisé une organisation régionale basée sur la sécurité et l’économie.

Depuis l’ère Deng Xiaoping, l’appareil du Parti-Etat porté par une « diplomatie multilatérale » (duobian waijiao), a pour ambition première de remodeler les routes commerciales eurasiatiques au départ de la Chine en connectant l’Asie centrale, la Russie et l’Europe. Plusieurs leviers institutionnels y pourvoient et notamment l’OCS. Elle constitue une forme originale d’intégration régionale basée sur la lutte contre le terrorisme, l’extrémisme religieux et le séparatisme, formulé ainsi suite à la déclaration conjointe publiée le 15 juin 2001. Initiée par Pékin et Moscou afin de stabiliser et de limiter l’influence occidentale en Asie centrale, l’OCS est un outil diplomatique pleinement investi par Pékin comme espace de dialogue et d’influence, de commerce et de coopération militaire. En 2017, la Chine a favorisé l’entrée du Pakistan dans l’OCS, face à l’Inde, soutenue quant à elle par la Russie, suggérant ainsi de nouveaux enjeux stratégiques d’ampleur entre les puissances d’Asie. Enfin, après plusieurs années de discussions et dans le contexte d’isolement de l’Iran, cette dernière est pleinement membre en 2021. Cette organisation internationale dont le siège est à Pékin, témoigne d’une évolution constante de son cadre géographique et politique (à trois niveaux : pays membres, observateurs et partenaires de dialogue) demeurant fermée à l’occident et au Japon. L’OCS rassemble ainsi, Corée du Nord exceptée, l’ensemble des puissances nucléaires non-occidentales (Israël à part).

La gouvernance de l’Organisation s’articule autour de réunion étatique annuelle accueillie dans les pays membres (2023 a priori en Inde ! et les 10 ans du lancement des « Nouvelles routes de la soie ») et de diverses réunions ministérielles fonctionnelles (sécurité, économie, finance, éducation etc.). Ainsi Pékin a toujours privilégié un organigramme de gouvernance chinois ou sinisant. Actuellement, le Secrétaire général est chinois, Zhang Ming, et parmi ses adjoints, on retrouve un Kazakhstanais, Yerik Sarsebek Ashimov  et un russe, Logvinov Grigory. Tous sont diplomates de carrières et sinophones et russophones.

Le poids de la Chine d’une part, celui de Xi Jinping d’autre part

Le Président chinois, Xi Jinping après une visite d’Etat d’une journée au Kazakhstan voisin et majeur (approvisionnements en ressources fossiles et minerais) dans la politique régionale de Pékin s’est rendu à Samarcande pour le sommet de l’OCS 2022. Deux jours diplomatiques pour un président qui n’était plus sorti de Chine de puis la fin de l’année 2019. Ces trois jours de visite sont cruciaux dans la compréhension des priorités de Xi Jinping. Dans un contexte international cristallisé par la guerre en Ukraine, la dégradation des relations entre la Chine et l’Occident et à la veille du 20e Congrès du PCC (16 octobre 2022), le sommet de l’OCS rend compte des dynamiques chinoises des relations internationales.

Xi Jinping déclarait lors de ce sommet qu’il s’agissait de « renforcer la coopération et à promouvoir la construction d’une communauté de destin plus étroite », ou encore « « le monde d’aujourd’hui est loin d’être en paix et que la concurrence entre deux orientations politiques, l’une marquée par la solidarité et la coopération, l’autre par la division et la confrontation, se fait avec une acuité croissante ». Pas grandes surprises donc, dans le déclaratif chinois, mais une occasion majeure de porter des éléments de langage, à la caisse de résonnance profonde, en amont de l’institutionnalisation de son maintien au pouvoir advita aeternam. En ce sens, la presse chinoise a beaucoup insisté sur la réussite de ce sommet et des rencontres du président chinois, plutôt que la question bilatérale sino-russe.

Malgré des résultats économiques de moins en moins mirifiques (ralentissement structurel, pandémie de Covid-19, guerre en Ukraine et intensification des tensions avec les Etats-Unis), Pékin continue de susciter des volontés de partenariats, d’autant plus que Moscou semble connaitre sa dernière décennie d’influence singulière dans ce grand espace post-soviétique. Pour l’ensemble des pays de la zone (exceptée l’Inde), c’est la Chine qui est le premier partenaire économique, d’intérêt diplomatique et de plus en plus sécuritaire. Aussi, furent évoqués les grands projets d’infrastructures et de connectivité dans le cadre des « Nouvelles routes de la soie », bien à la peine, notamment avec les questions d’endettement, de corruption et de manque de liquidité des opérateurs chinois. Ces derniers étant très touchés par la guerre en Ukraine où les segments ferroviaires et routiers (Ukraine, Russie, Biélorussie) sont tous à l’arrêt. Ainsi, les projets de désenclavement de l’Afghanistan ont été abordé, mais aussi et surtout un axe à travers les pays d’Asie centrale évitant la Russie…

Plus généralement, le sommet a permis un affichage de Xi Jinping et du poids de la Chine dans la région. Des rencontres bilatérales successives (avec Poutine, Raïssi, Erdogan, Sharif notamment) ont été tenues avec les divers pays membres, Narendra Modi à part, pour affirmer les relations économiques, diplomatiques et sécuritaires. Pour Pékin, l’OCS est un format dans lequel, elle assoit son influence régionale, sans entrave majeure, en profitant d’une contestation à peine voilée de la dynamique moscovite. L’objectif étant de devenir La puissance de référence, non sans obstacles centrifuges et centripètes propres à cette immense région et organiser un « pourtour de vassalité ».

Une arène diplomatique pour une dynamique non-occidentale, en creux, du système international

Exemple coruscant de dynamiques non-occidentales des relations internationales, l’OCS, constitue un espace singulier dans lequel des puissances rivales et partenaires se retrouvent afin d’établir leur feuille de route diplomatique non-occidentale. Attirés par le poids de Pékin dans la région, les pays de la zone souhaitent courtiser la deuxième puissance mondiale, et en même temps se défaire de l’influence russe. Nombreux sont les Etats souhaitant intégrer l’OCS sous l’un des trois statuts (membres, partenaires de dialogue ou observateurs) : Arabie Saoudite, Turquie, Egypte, Emirats Arabes Unis, Birmanie, Maldives…

L’exemple du pays hôte, l’Ouzbékistan de Chavkat Mirzioïev, témoigne d’une diplomatie proactive à la fois dans la région, cherchant à incarner un centre de gravité, mais aussi à l’internationale, dans l’approfondissement de ses relations avec l’Europe et les Etats-Unis par exemple.

D’un autre côté, la présence de l’Inde est éloquente. Cherchant à contenir la poussée chinoise, Modi compose à la fois avec l’OCS et son ennemi le Pakistan, tout en gagnant en influence en Asie centrale et au Moyen-Orient et participant « aux schémas Indopacifique » alors que ses relations avec la Russie n’ont pas été inquiétées.

L’OCS, dans une logique évolutive et adaptative au contexte international immédiat a fait du président turc Recep Tayyip Erdogan (par ailleurs membre de l’OTAN…), et son homologue azerbaïdjanais, Ilham Aliev, deux invités attendus et visibles.

La Guerre et l’instabilité intérieure marquent toutes deux la plupart des Etats présents : ré-intensification du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, entre le Tadjikistan et le Kirghizstan et révolte importante en Iran…Le signe d’une part, de l’affaiblissement de Moscou et les convulsions internes à cette région qui n’en sont qu’à leur phase de balbutiements, la recomposition post-impériale des ambitions des pôles régionaux de puissance (Turquie, Iran, Inde, Chine etc.). Le tout dans une logique internationale et multilatérale bridée, où chaque Etats s’offre le choix à géométrie variable de ses partenaires et de faire valoir ses ambitions multiscalaires, du régional au global.

La politique et les ambitions propres de chaque Etat témoignent des réalités très contradictoires internes à l’OCS, d’une part et le poids majeur de la Chine, prenant la place de la Russie, y compris dans l’affirmation de coopération pour la sécurité régionale. Si l’OCS est un outil d’influence de Xi Jinping, les convulsions internes (y compris la question de l’Afghanistan et des talibans) demeurent. Les Etats d’Asie centrale, au cœur de tous les sujets ne font pas l’économie de leur sollicitation en direction de l’Europe.

Si l’OCS est un cénacle de puissances, sinon d’acteurs étatiques aux enjeux et ambitions très contradictoires, le facteur temps permettra sûrement de faire écho aux mots du Cardinal de Retz, « on ne sort de l’ambiguïté qu’a son détriment ». C’est d’autant plus vrai pour LA puissance tant revendiquée, de Pékin.

Emmanuel Véron

Le 18 septembre 2022.

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