Quand la Chine organise un nouvel espace de vassalité

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Emmanuel Véron, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)

Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) tenu à Samarcande (Ouzbékistan) les 15 et 16 septembre aura marqué les esprits pour au moins trois grandes raisons : tout d’abord, parce que chaque sommet international rassemblant plus d’une vingtaine d’États représentant plus de 40 % de la population mondiale est un événement notable ; ensuite, parce que l’OSC prend de plus en plus la forme d’un club de puissances nucléaires non occidentales (Chine, Russie, Inde, Pakistan… et Iran) ; enfin, parce que la réunion qui vient de s’achever, organisée en plein recul de l’armée russe en Ukraine, a mis en évidence la perte d’influence de Moscou au profit de la Chine dans cet immense espace eurasiatique.

Qu’est-ce que l’OCS ?

Précisons d’abord ce que l’OCS n’est pas : contrairement à ce que l’on entend parfois, ce n’est ni une alliance, ni une « OTAN eurasiatique », ni une sorte de « G20 bis ». Cette organisation, encore trop méconnue en Occident, est le produit de la recomposition de l’ordre international consécutive à l’implosion de l’URSS et de la volonté de Pékin d’affirmer son influence dans son pourtour asiatique.

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Une première réunion a lieu en 1996 à Shanghai, entre la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Tadjikistan et le Kirghizistan – d’où le nom initial de « Groupe de Shanghai ». Petit à petit, Pékin va institutionnaliser cette plate-forme régionale, qui devient l’OCS en 2001, intégrant au passage l’Ouzbékistan. L’Organisation va organiser annuellement des sommets consacrés aux questions sécuritaires et économiques et, ces dernières années, s’ouvrir à de nouveaux membres. Les six pays fondateurs de 2001 sont rejoints par l’Inde et le Pakistan en 2017, puis par l’Iran en 2021.

Emmanuel Véron, Fourni par l’auteur

Depuis l’ère Deng Xiaoping (1978-1989), l’appareil du Parti-État met en œuvre une « diplomatie multilatérale » (duobian waijiao) qui a pour ambition première de remodeler les routes commerciales eurasiatiques au départ de la Chine en connectant l’Asie centrale, la Russie et l’Europe.

Plusieurs leviers institutionnels y pourvoient, et notamment l’OCS. Initiée par Pékin et Moscou afin de stabiliser et de limiter l’influence occidentale en Asie centrale, l’OCS est un outil diplomatique pleinement investi par Pékin comme espace de dialogue et d’influence, de commerce et de coopération militaire. C’est ainsi qu’en 2017, la Chine a favorisé l’entrée du Pakistan dans l’OCS pour faire contrepoids à l’entrée de l’Inde, soutenue quant à elle par la Russie. Enfin, après plusieurs années de discussions, l’Iran est devenu membre en 2021.

L’OCS, dont le siège est à Pékin, a donc évolué avec les années, mais demeure fermée à l’Occident et au Japon. Elle rassemble ainsi aujourd’hui l’ensemble des puissances nucléaires non occidentales (Israël et Corée du Nord à part).

La gouvernance de l’Organisation s’articule, on l’a dit, autour de réunions étatiques annuelles dans les pays membres (la prochaine devrait avoir lieu en Inde), mais aussi de diverses réunions ministérielles fonctionnelles (sécurité, économie, finance, éducation, etc.). Pékin a toujours privilégié un organigramme de gouvernance chinois ou sinisant. Actuellement, le secrétaire général, Zhang Ming, est chinois et, parmi ses adjoints, on retrouve un Kazakhstanais, Yerik Sarsebek Ashimov, et un Russe, Grigori Logvinov. Tous sont diplomates de carrière, à la fois sinophones et russophones.

Xi Jinping en leader régional

Le président chinois, Xi Jinping, s’est rendu à Samarcande pour le sommet de l’OCS 2022. Quelques jours plus tôt, il a effectué une courte visite d’État au Kazakhstan, voisin d’importance majeure dans la politique régionale de Pékin (par ses exportations de ressources fossiles et de minerais).

Ces deux visites, et spécialement celle de Samarcande, sont cruciales pour comprendre les priorités actuelles de Xi Jinping, qui n’était plus sorti de Chine depuis la fin de l’année 2019. Elles interviennent en effet dans un contexte international rendu particulièrement tendu par la guerre en Ukraine et la dégradation notable des relations entre la Chine et l’Occident ; de plus, elles se situent à la veille du 20ᵉ Congrès du PCC (16 octobre 2022).

À Samarcande, Xi Jinping a déclaré que l’OCS devait « renforcer la coopération et promouvoir la construction d’une communauté de destin plus étroite ».

Pas de grandes surprises dans le déclaratif du président chinois, mais une occasion majeure de mettre en avant des éléments de langage, en amont de l’institutionnalisation de son maintien au pouvoir ad vitam aeternam qui doit intervenir lors du 20e Congrès. La presse chinoise a beaucoup insisté sur la réussite de ce sommet et sur les diverses rencontres auxquelles Xi Jiping a participé, plutôt que la question bilatérale sino-russe.

Malgré des résultats économiques de moins en moins mirifiques (ralentissement structurel, pandémie de Covid-19, guerre en Ukraine et intensification des tensions avec les États-Unis), Pékin continue de susciter des volontés de partenariats, d’autant plus que l’influence de Moscou semble reculer nettement dans le grand espace post-soviétique.

Pour l’ensemble des pays de la zone (l’Inde exceptée), c’est la Chine qui est le premier partenaire économique, d’intérêt diplomatique et, de plus en plus, sécuritaire. Aussi furent évoqués les grands projets d’infrastructures et de connectivité dans le cadre des « Nouvelles routes de la soie » – un projet bien à la peine, notamment du fait de l’endettement, de la corruption et du manque de liquidité des opérateurs chinois, ces derniers étant très touchés par la guerre en Ukraine. Les segments ferroviaires et routiers (Ukraine, Russie, Biélorussie) de ces nouvelles routes sont tous à l’arrêt. Les projets de désenclavement de l’Afghanistan ont également été abordés, mais avant tout via un axe à travers les pays d’Asie centrale évitant la Russie…

Plus généralement, le sommet a permis l’affichage du poids de la Chine dans la région. Des rencontres bilatérales successives (avec Poutine, mais aussi l’Iranien Raïssi, Erdogan et le Pakistanais Sharif notamment) ont été tenues avec les dirigeants des divers pays membres, Narendra Modi à part. L’OCS permet à Pékin d’asseoir son influence régionale sans entrave majeure, l’objectif étant de devenir LA puissance de référence et organiser un « pourtour de vassalité » dans la zone.

L’OCS face à l’Occident

Exemple éclatant des dynamiques non occidentales des relations internationales, l’OCS constitue un espace singulier dans lequel des puissances rivales et partenaires se retrouvent afin d’établir leur feuille de route diplomatique sans en référer aux Occidentaux.

Attirés par le poids de Pékin dans la région, les pays de la zone souhaitent courtiser la deuxième puissance mondiale et, en même temps, se défaire de l’influence russe. Nombreux sont les États souhaitant intégrer l’OCS sous l’un des trois statuts (membre, partenaire de dialogue ou observateur) : Arabie saoudite, Turquie, Égypte, Émirats arabes Unis, Birmanie, Maldives…

La présence de l’Inde montre tout l’intérêt que l’OCS recèle pour ses membres. Narendra Modi compose au sein de l’OCS à la fois avec le rival stratégique durable chinois et avec l’ennemi pakistanais, tout en gagnant en influence en Asie centrale et au Moyen-Orient et en participant « aux schémas Indopacifiques » alors que ses relations avec la Russie n’ont pas été dégradées par la guerre en Ukraine.

Par ailleurs, l’OCS, sensible au contexte international immédiat, a fait du président turc Recep Tayyip Erdogan (par ailleurs membre de l’OTAN…) et de son homologue azerbaïdjanais, Ilham Aliev, deux invités attendus et visibles.

Guerres et instabilités internes

La guerre et l’instabilité intérieure marquent toutes deux la plupart des États présents : outre la guerre ouverte en Ukraine, on a assisté, tout récemment, à la ré-intensification des conflits entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, et entre le Tadjikistan et le Kirghizstan, et à une révolte importante en Iran

Tous ces soubresauts sont le signe, d’une part, de l’affaiblissement de Moscou, traditionnel acteur d’influence du Caucase et de l’Asie centrale, et d’autre part de la recomposition post-impériale des ambitions des pôles régionaux de puissance (Turquie, Iran, Inde, Chine, etc.). Si l’OCS est un outil d’influence de Xi Jinping, les convulsions internes (y compris la question de l’Afghanistan et des talibans) demeurent. Et n’oublions pas que les États d’Asie centrale, au cœur de toutes les problématiques, sont demandeurs de plus d’échanges avec l’Europe.

Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur – Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

La version originale de cet article : OCS*, un sommet contre l’Occident pour un monde multipolaire ?

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