Le dimanche 16 octobre ouvrait le 20e Congrès du Parti Communiste Chinois (PCC). Consécration éloquente de la concentration du pouvoir de Xi Jinping sur le PCC et la Chine depuis une décennie et les 96,7 millions de membres, ce suprême cénacle du régime d’une semaine entière, laisse entrevoir les fragilités d’une Chine affichant un repli accru sur elle-même, et, une agressivité renforcée dans son environnement régional et à l’endroit des démocraties libérales.
Scénographie politique, géomancie rouge et thuriféraires
Au cœur de la grande parade et du décorum parfaitement codifié, il n’y aura aucune décision clef lors de ce vingtième Congrès. Réunissant2 296 délégués, le comité central, le comité permanent du Bureau politique et les hauts dignitaires du Parti (dont le doyen Song Ping, 106 ans, Hu Jintao et Wen Jiabao, tous deux grisonnants, respectivement ancien Président et Secrétaire général et Premier ministre, ou encore Zhang Gaoli qui a été inquiété pour le viol de Peng Shuai, depuis disparue).
L’organisation paysagère et le rituel sont une célébration du régime, triomphant, seul « légitime » pour diriger la « Chine nouvelle », et ce pour confirmer le troisième mandat pour le Secrétaire général du Parti, Xi, qui devra confirmer en mars 2023, la Présidence de la RPC et incarner le statut de « dirigeant suprême » lingxiu.
En plus des images données à voir, c’est l’ensemble du pays et de la société qui sont rythmés par la tenue du Congrès. Des affiches, campagnes de propagande dans l’espace public, dans les écoles, les entreprises, les universités à la paranoïa sécuritaire (très organisée en amont, depuis une année), une chappe de plomb est installée par les organes du régime sur la société. Malgré la surveillance de masse et les efforts colossaux du Parti pour contenir et neutraliser toutes « subversions », plusieurs personnes ont installé une banderole sur un pont piéton d’un échangeur dans le district de Haidian à Pékin. L’on pouvait lire : « Nous ne voulons pas de tests Covid, nous voulons manger ; nous ne voulons pas de confinement, mais être libres, pas de mensonge, mais la dignité (…) Ne plus être des esclaves pour être des citoyens. » Ou encore : « Étudiants, travailleur, peuple (…) destituez le dictateur Xi Jinping. » A l’étranger (Manchester ou Paris), plusieurs voix se sont faits entendre donnant un écho supplémentaire à ces demandes de l’opinion publique chinoise, trop souvent perçue comme monolithique et immuable. Très rapidement, la toile Internet chinoise s’est refermée, les mots clefs des revendications étant censurés, plusieurs arrestations ont eu lieues.
La personnification du pouvoir et la symbolique du « régime rouge » laisse cependant une grande opacité sur la composition finale du bureau politique. Si la règle de la « limite » d’âge des 67-68 ans engage plusieurs membres à sortir, les luttes intestines au sein du Parti se sont accentuées des dernières années, notamment avec la place de Xi Jinping. Si un « équilibre » était de mise entre les différentes coteries du PCC, il semblerait que Xi Jinping impose plusieurs de ses fidèles et laisse siéger un à deux membres issus des factions de Jiang Zemin et de La Ligue de la Jeunesse Communiste. Rappelons que ces clans (La Ligue, « Bande de Shanghai », les Princes Rouges) qui jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Xi en 2012 se partageaient les postes au sein du Parti ont très largement perdus de leur influence et pouvoir.
A la place, Xi Jinping a considérablement renforcé son pouvoir en s’appuyant sur la « bande du Zhejiang », province au sud de Shanghai, dans laquelle Xi a gouverné et dirigé au cours de sa carrière. Autant de fidèles placés dans les régions et municipalités clefs et dans des postes stratégiques dans le Parti et dans l’Etat.
La veille de la clôture du Congrès et de l’humiliation suprême de Hu Jintao, le Comité Permanent du Bureau Politique (CPBP) et le Comité central (205 membres) ont été dévoilé. Ils témoignent de la main mise absolue de Xi Jinping sur les plus hautes instances du PCC, donc du Parti-Etat, et selon le vœu de Xi Jinping, se confondre avec la Chine. Plusieurs précisions quant à cette accélération du pouvoir absolu de Xi : aucune femme au Bureau politique, une moyenne d’âge en contradiction avec les usages, par de successeurs identifiés ni identifiables et surtout, un CPBP entièrement composé de fidèles ou de proches de Xi. Wang Huning, l’idéologue, reste au CPBP, prend la tête de la propagande et du Front Uni. Li Qiang, chef du Parti à Shanghai, responsable des chaotiques confinements, devient Premier ministre. Cai Qi, chef du Parti à Pékin, entre au Comité permanent. Zhao Leji, « ancien immortel » demeure au Comité permanent mais prend la direction de la lutte contre la corruption. Li Xi, chef du Parti au Guangdong prend la tête de l’inspection disciplinaire. Et Ding Xuexiang fait son entrée au Comité permanent, bras droit du Président, à la tête du Bureau central du PCC. Tous les six sont des proches de Xi Jinping dans le temps long. Des liens noués lors des responsabilités au sein du Parti ou de l’Etat dans les provinces du Fujian, du Zhejiang et de Shanghai. Aussi, certains d’entre eux se sont connus par l’amitié et la proximité de leurs parents, issus de l’entourage de Mao, survivants de la Longue Marche (1934-1935)…
Quatre orientations prioritaires : coercition et fragilités
Une première depuis 2002, les mots « opportunités stratégiques » n’ont pas été mentionnés une seule fois. Signe d’une fragilisation de l’économie chinoise d’une part et de la perte d’attractivité de la Chine sur le plan international, le régime, incarné par la volonté toute puissante de Xi Jinping joue à la fois la prudence, la légitimité en temps difficile de pandémie et reporte à une date ultérieure la publication de chiffres économiques du troisième trimestre. Sur fond de lutte (interminable) contre la Covid et le maintien de la politique « 0 Covid », l’agenda politique pékinois est toujours marqué par la coercition et la dislocation.
Première orientation évoquée en substance tout au long du Congrès : l’économie. La croissance chinoise sera pour la deuxième année consécutive faible. Résultat du ralentissement économique mondial, de la guerre en Ukraine, mais aussi et surtout de la « politique 0 Covid », le PIB chinois, qui selon les autorités devait doubler en 2035, atteste dans les faits d’une forme de stagnation dont les signaux commencent à être visibles et durables. Chute de la production industrielle, vieillissement de la population, perte de confiance en l’avenir de la jeunesse, crise environnementale, crise immobilière insoluble et structurelle sont autant de fragilités à la fois conjoncturelles accélérées par la pandémie, et, structurelles, liées à la taille du pays et son développement rapide ces trente dernières années. En quelques sortes, les excès du développement et de la modernisation sur fond d’euphorie et de corruption généralisée.
Deuxième orientation : le domaine de la Tech. Le Parti cherche à ordonner l’ensemble de l’innovation dans le domaine des technologies, et ce, malgré une perte de compétitivité et économique, des géants chinois. Le Parti a plusieurs plans, publics, d’autres plus secrets dans le domaine de l’IA, du quantique, des supercalculateurs, du cyber, de l’espace etc. Chaque programme a une articulation duale (civil-militaire) à destination de concurrencer et devancer les capacités américaines d’une part, et, de contrôle absolu de la société chinoise d’autre part.
Troisième orientation : l’obsession de Taïwan. Dès l’ouverture du Congrès, le discours de Xi Jinping a insisté sur Taïwan, distillant l’idée que Hong Kong serait un précédent. En ce sens, Taïwan continuera d’être le cœur géographique et stratégique de la rivalité sino-américaine, plus largement, un dossier essentiel des diplomaties de l’Indopacifique. La question d’une confrontation dans le Détroit n’est pas exclue. Demeure la temporalité et les modalités de la rivalité, sinon de l’affrontement. Dès l’ouverture du Congrès, Xi très martial, rappelait : « la Chine ne renoncera jamais à l’usage de la force ».
Enfin, quatrièmement, Xi Jinping a mis en avant le domaine militaire. S’il avait lancé une refonte de l’APL en 2015-2016 a des fins de modernisations et de légitimité au sein du Parti, surtout au sein de la société chinoise, les forces armées chinoises malgré les faiblesses de l’économie continueront, par secteurs, d’être bien dotées. La marine chinoise, le spatial, le balistique et le nucléaire, ainsi que le cyber seront les mieux servis (en plus des programmes IA, quantique, drones etc.). L’évolution de la stratégie chinoise et des doctrines d’emplois seront à suivre de près notamment dans le cadre d’un affrontement sur mer, de Taïwan à la mer de Chine du sud et au-delà dans le Pacifique.
Toutes ces orientations sont articulées à la relation conflictuelle avec les Etats-Unis, mais aussi à la fuite en avant accélérée du régime chinois sous la gouvernance de Xi Jinping.
Un agenda sans surprise, mais intenable : vers la guerre ?
Plusieurs dates majeures ont été mises en avant, qui sont devenues des occurrences redondantes du régime pour affirmer sa légitimité : 2025, pic d’émission des GES, 2020-2030, une « Chine moderne », 2030-2049 : une « Chine prospère » et pour 2049, une « armée de classe mondiale » et première puissance mondiale pour le centenaire de la République populaire de Chine. Ou encore 2060 et la neutralité carbone… A côté de cet autre décorum temporel, il y a un autre agenda, celui du vieillissement, de la dette, des taux de chômage qui a explosé, de la poursuite de la consommation effrénée de matière carbonée… Enfin, les grands chantiers à l’instar des « Nouvelles routes de la soie » pour la géopolitique et la géoéconomie ou de du « Rêve chinois » pour le modèle sociale et de gouvernance ont tous deux très largement perdus en crédibilité tant à l’international qu’en interne.
A la lecture des choix stratégiques du Parti, la rivalité avec les Etats-Unis est partout. Des technologies à Taïwan, en passant par la guerre en Ukraine, les prochaines années d’exercice du pouvoir de Xi Jinping ne seront pas tant celles des difficultés internes à la fois en Chine et interne au Parti, que celles de la cristallisation des relations avec l’autre puissance tant redoutée et tant jalousée.
S’il semblait que le maintien des restrictions de la « politique 0 Covid » soit une évidence, le repli sur soi de la Chine par le régime est tel, les signaux décrits et observés lors du Congrès donnent aussi à anticiper une Chine qui est définitivement sortie d’un arrimage à la mondialisation, basée sur des résultats économiques hyper flatteurs. Le 20e Congrès confirme la voie d’une Chine fixée sur la coercition d’une part, et, la dislocation d’autre part. Les interdépendances économiques et industrielles suffiront-elles à éviter toutes confrontations et deux décennies de chaos ?
Emmanuel Véron