Emmanuel Véron, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)
Le 20ᵉ Congrès du Parti communiste chinois (PCC) s’est tenu du 16 au 22 octobre dernier. S’il a confirmé la concentration entre les mains de Xi Jinping du pouvoir sur la Chine et, tout spécialement, sur le PCC et ses 96,7 millions de membres, ce moment politique charnière a aussi laissé entrevoir les fragilités d’une Chine à la fois repliée sur elle-même et de plus en plus agressive à l’endroit de ses voisins régionaux et des démocraties libérales occidentaux. Cette agressivité est-elle un aveu de faiblesse grandissante ?
Ce fut la scène marquante du XXe Congrès : l’ancien président chinois Hu Jintao (debout), prié de quitter la tribune d’honneur sous le regard de Xi Jinping (R) et du premier ministre sur le départ Li Keqiang (deuxième à partir de la gauche) à Pékin, le 22 octobre 2022. Noel Celis / AFP
Un grand cérémonial discrètement contesté
Au cœur de la grande parade et du décorum parfaitement codifié, aucune décision clé n’a été prise lors de ce vingtième Congrès.
Étaient présents 2 296 délégués, y compris l’intégralité des membres du Comité central et du Comité permanent du Bureau politique et les hauts dignitaires du Parti, dont le doyen Song Ping, 106 ans, ainsi que Hu Jintao et Wen Jiabao, respectivement ancien président et secrétaire général et ancien premier ministre, ou encore Zhang Gaoli (qui a été inquiété pour le viol de la tenniswoman Peng Shuai).
Cette célébration du régime triomphant a entériné le troisième mandat de cinq ans du secrétaire général du Parti, Xi Jinping, qui sera également confirmé en mars 2023 à la présidence de la RPC.
Tout au long de la semaine où s’est tenu le Congrès (voire plusieurs semaines en amont), la vie du pays a été placée sous le signe de l’événement. Des affiches ont été placardées partout et une vase campagne de propagande a été déployée dans l’espace public, dans les écoles, dans les entreprises, dans les universités.
Une femme passe devant une affiche de propagande pour le 20ᵉ Congrès du Parti communiste à Pékin, le 21 septembre 2022. Jade Gao/AFP
Malgré la surveillance de masse et les efforts colossaux du Parti pour contenir et neutraliser toute « subversion », plusieurs personnes ont réussi à installer une banderole sur un pont piéton d’un échangeur dans le district de Haidian à Pékin. On pouvait notamment y lire :
« Nous ne voulons pas de tests Covid, nous voulons manger ; nous ne voulons pas de confinement, mais être libres ; pas de mensonge, mais la dignité. Ne plus être des esclaves, mais être des citoyens. »
À l’étranger, (Manchester ou Paris), plusieurs voix se sont fait entendre, donnant un écho supplémentaire à ces demandes de l’opinion publique chinoise, trop souvent perçue comme monolithique et immuable. Très rapidement, la toile Internet chinoise s’est refermée, les mots clés des revendications étant censurés, plusieurs arrestations ont eu lieu.
Les fidèles de Xi à l’honneur
La personnification du pouvoir et la symbolique du « régime rouge » laissent planer une grande opacité sur la composition finale du Bureau politique. Si la règle de la « limite » d’âge des 67-68 ans engage plusieurs membres à sortir, les luttes intestines au sein du Parti se sont accentuées des dernières années.
Alors qu’un « équilibre » était de mise entre les différentes coteries du PCC, il semblerait que Xi Jinping impose plusieurs de ses fidèles et ne laisse siéger qu’un ou deux membres issus des factions de Jiang Zemin et de La Ligue de la Jeunesse communiste. Rappelons que ces clans (La Ligue, « Bande de Shanghai », les Princes Rouges) qui, jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Xi en 2012, se partageaient les postes au sein du Parti, ont très largement perdu de leur influence.
À la place, Xi Jinping a considérablement renforcé son pouvoir en s’appuyant sur la « bande du Zhejiang », province au sud de Shanghai qu’il a précédemment dirigée au cours de sa carrière. Autant de fidèles placés dans les régions et municipalités clés et à des postes stratégiques du Parti et de l’État.
La veille de la clôture du Congrès et de l’humiliation suprême de Hu Jintao (marquant de manière symbolique sous les yeux de la Chine et du monde l’éviction des factions internes opposées à Xi Jinping), la composition du Comité permanent du Bureau politique (CPBP) et du Comité central (205 membres) a été dévoilée. Ces nominations témoignent de la mainmise quasi absolue de Xi Jinping sur les plus hautes instances du PCC, donc du Parti-État.
Xi Jinping (au centre) et les autres nouveaux membres du Comité permanent du Politburo du Parti communiste chinois (de gauche à droite jusqu’à Xi puis de droite à gauche) Li Xi, Cai Qi, Zhao Leji, Li Qiang, Wang Huning et Ding Xuexiang rencontrent les médias dans le Grand Hall du Peuple à Pékin, le 23 octobre 2022. Noel Celis/AFP
Plusieurs précisions quant à cette accélération du pouvoir quasi absolu de Xi : aucune femme au Bureau politique, une moyenne d’âge en contradiction avec les usages (dépassement de l’« âge plafond » de 67-68 ans), pas de successeurs identifiés ni identifiables et, surtout, un CPBP entièrement composé de fidèles ou de proches de Xi.
Wang Huning, l’idéologue, reste au CPBP et prend la tête de la propagande et du Front Uni. Cette instance vise à rallier les personnes à la cause du Parti (influence, recrutement), mais aussi à neutraliser ce qui est perçu comme étant les opposants au régime. Li Qiang, chef du Parti à Shanghai, responsable des chaotiques confinements, devient premier ministre. Cai Qi, chef du Parti à Pékin, entre au Comité permanent. Zhao Leji, « ancien immortel » (membre du CPBP et haut dignitaire du régime) demeure au Comité permanent mais prend la direction de la lutte contre la corruption. Li Xi, chef du Parti au Guangdong, prend la tête de l’inspection disciplinaire. Et Ding Xuexiang fait son entrée au Comité permanent, en tant que bras droit du président, à la tête du Bureau central du PCC.
Tous les six sont des proches de Xi Jinping de longue date, depuis qu’ils ont été aux responsabilités avec lui au sein du Parti ou de l’État dans les provinces du Fujian, du Zhejiang et de Shanghai. En outre, certains d’entre eux se sont connus du fait de l’amitié et de la proximité de leurs parents, issus de l’entourage de Mao et survivants de la Longue Marche (1934-1935)…
Quatre orientations prioritaires
Une première depuis 2002 : les mots « opportunités stratégiques » n’ont pas été mentionnés une seule fois. Signe d’une fragilisation de l’économie chinoise et de la perte d’attractivité de la Chine sur le plan international, le régime joue à la fois la prudence et la légitimité et reporte à une date ultérieure la publication des chiffres économiques du troisième trimestre.
Première orientation évoquée en substance tout au long du Congrès : l’économie. La croissance chinoise sera pour la deuxième année consécutive faible. Résultat du ralentissement économique mondial, de la guerre en Ukraine, mais aussi et surtout de « la politique éro Covid », le PIB chinois, qui selon les autorités devait doubler d’ici à 2035, atteste d’une forme de stagnation dont les signaux commencent à être visibles et durables.
Chute de la production industrielle, vieillissement de la population, perte de confiance en l’avenir de la jeunesse, crise environnementale, crise immobilière insoluble et structurelle, sont autant de fragilités à la fois conjoncturelles puisque accélérées par la pandémie et structurelles, liées à la taille du pays et à la rapidité de son développement ces trente dernières années. En quelque sorte, les excès du développement et de la modernisation sur fond d’euphorie et de corruption généralisée.
Deuxième orientation : le domaine de la Tech. Le Parti cherche à ordonner l’ensemble de l’innovation dans le domaine des technologies. Pour cela, il a plusieurs plans, certains publics, d’autres plus secrets dans les domaines de l’IA, du quantique, des supercalculateurs, du cyber, de l’espace etc. Chaque programme a une articulation duale (civil-militaire), afin à la fois de concurrencer les capacités américaines et de renforcer le contrôle de l’État sur la société chinoise
Troisième orientation : l’obsession de Taïwan. Dès l’ouverture du Congrès, le discours de Xi Jinping a insisté sur Taïwan distillant l’idée que Hongkong constituait un précédent en matière de « remise au pas » d’une région chinoise « trop longtemps séparée de la mère patrie ». Ces propos rappellent l’obsession de l’unité et de l’unicité de la Chine. En ce sens, Taïwan continuera de se trouver au cœur de la rivalité sino-américaine et, plus largement, un dossier essentiel de l’Indopacifique. Une confrontation dans le Détroit n’est pas exclue. Dès l’ouverture du Congrès, Xi, très martial, rappelait : « La Chine ne renoncera jamais à l’usage de la force ».
Enfin, quatrièmement, Xi Jinping a mis en avant le domaine militaire. Il avait déjà lancé une refonte de l’Armée en 2015-2016 à des fins de modernisation et pour accroître sa légitimité personnelle au sein du Parti et aux yeux de la société ; malgré les faiblesses de l’économie, les forces armées chinoises continueront, par secteurs, d’être bien dotées.
La marine, le spatial, le balistique et le nucléaire, ainsi que le cyber seront les mieux servis (en plus des programmes IA, quantique, drones, etc.). L’évolution de la stratégie chinoise et des doctrines d’emploi sera à suivre de près, notamment dans la perspective d’un affrontement sur mer, de Taïwan à la mer de Chine du Sud et, au-delà, dans le Pacifique.
Toutes ces orientations sont articulées à la relation conflictuelle avec les États-Unis, mais aussi à la fuite en avant accélérée du régime chinois sous la gouvernance de Xi Jinping.
Vers la guerre ?
Plusieurs dates majeures ont été mises en avant lors du Congrès : 2025, pic d’émission des gaz à effet de serre ; 2020-2030, une « Chine moderne » ; 2030-2049, une « Chine prospère » ; et pour 2049, une « armée de classe mondiale » et première puissance mondiale pour le centenaire de la République populaire de Chine. Ou encore 2060 et la neutralité carbone…
À côté de ce décorum temporel, il y a un autre agenda, celui du vieillissement, de la dette, des taux de chômage qui a explosé, de la poursuite de la consommation effrénée de matière carbonée…
Enfin, les grands chantiers à l’instar des « Nouvelles routes de la soie » pour la géopolitique et la géoéconomie, ou du « Rêve chinois » pour le modèle social et de gouvernance, ont tous deux très largement perdu en crédibilité tant à l’international qu’en interne.
À la lecture des choix stratégiques du Parti, on constate que la rivalité avec les États-Unis est partout. Des technologies à Taïwan, en passant par la guerre en Ukraine, les prochaines années d’exercice du pouvoir de Xi Jinping ne seront pas tant celles des difficultés internes à la Chine et au Parti que celles de la cristallisation du conflit avec l’autre puissance tant redoutée et tant jalousée. Les interdépendances économiques et industrielles suffiront-elles à éviter toute confrontation directe ?
Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur – Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.