Cliché – Claire Moliterni.
Vos excellences les ambassadeurs, M. et Mme Brousse dell’Aquila, Amiral Montanié, membres du jury, Mesdames, Messieurs.
Merci, Amiral, pour votre discours dont je suis tout émue. Je suis très honorée de recevoir le grand prix du Fonds de dotation Brousse dell’Aquila. C’est la première fois de ma vie que l’ensemble de mon œuvre est primé, et cela est une occasion pour jeter un regard sur ma vie qui est indissociable de mon œuvre, d’autant plus que je m’approche de l’âge où il convient de dresser un bilan.
En URSS où je suis née et grandi, j’ai vécu un rejet précoce de l’idéologie communiste et de la réalité soviétique. L’Amiral Montanié l’a mentionné. Ce rejet a conditionné mon départ en Israël, en 1973, dès que cela fut possible. Je me souviens d’âpres discussions que j’ai menées avec mes amis de l’époque, tous anticommunistes comme moi : partir ou ne pas partir. J’ai choisi de partir car je voulais avoir des enfants et il m’était impossible d’imaginer comment les élever dans un environnement idéologique répugnant et, de surcroît, hostile aux Juifs. Plusieurs de mes amis ont décidé de rester car ils se sentaient responsables du sort de leur pays. Il faut continuer à répandre la vérité, même en passant des textes sous le manteau, il faut œuvrer pour préserver et enrichir la culture russe. En tant qu’intellectuels, nous avons cette obligation morale, disaient-ils.
Cette responsabilité dont je ne ressentais pas le poids au moment du départ s’est réveillée en moi quelques années plus tard, lorsque je suis arrivée, avec mon mari et notre fille de dix mois, à Paris en 1984. Ma rencontre avec des écrivains, des artistes, des musiciens, des cinéastes russes exilés m’a littéralement bouleversée. Eh oui, tous ces gens ressentaient une obligation de combattre l’Empire du Mal (comme l’a nommé Ronald Reagan), et j’ai su que ma place était parmi eux. J’ai également rencontré plusieurs personnalités françaises et étrangères qui partageaient ce combat et qui ont beaucoup contribué à ma formation intellectuelle : André Glucksmann, devenu un proche ami, Alain Besançon, un proche ami également dont j’admire la lucidité et la sagesse, Daniel Cohn-Bendit, Yves Montand, Elie Wiesel, Emmanuel Levinas, Léon Poliakov et tant d’autres.
C’est grâce à l’encouragement de quelques-uns parmi eux que j’ai commencé à écrire – des articles d’abord, des livres bien plus tard. J’ai également commencé une nouvelle carrière, celle de journaliste, et encore une, parallèlement, celle de traductrice littéraire. Ce sont ces occupations qui m’ont permis de connaître des personnes extraordinaires, je pense en premier lieu à celle qui a été, pendant quelques années et jusqu’à son assassinat, une amie chère, la journaliste Anna Politkovskaïa dont j’ai admiré le courage et l’esprit incisif, mais aussi au Prix Nobel de la Paix Mikhaïl Gorbatchev, à la Prix Nobel de littérature Svetlana Alexievitch et à deux grands scientifiques, le Biélorusse Vassily Nesterenko et le Russe Alexeï Yablokov, qui ont consacré leurs vies à l’aide aux victimes de Tchernobyl et à l’étude scientifique des conséquences de cet accident.
Ainsi, peu à peu, au gré de mes rencontres, de mes études, de mes lectures, de mes voyages, trois pôles de mes intérêts particuliers se sont formés : l’accident de Tchernobyl et ses conséquences sur la vie et la mort des gens touchés, sur la culture, sur notre perception du temps et de l’espace ; l’idéologie du régime poutinien et ses racines profondes dans l’histoire russe et soviétique ; l’histoire et la culture ukrainienne, en liaison avec l’aspiration nationale à la liberté et à la démocratie, et le refus du soviétisme et de l’idéologie communiste. Ici, je dois remercier en particulier Bernard Henri Lévy qui m’a donné la possibilité de publier deux numéros spéciaux de sa revue La Règle du Jeu, à sept ans d’intervalle, consacrés à la culture ukrainienne, toujours peu connue en Occident. Je dois également remercier mes deux éditeurs qui m’ont toujours soutenus et qui sont présents ici -Jean-François Bouthors, un ancien de Buchet-Chastel, et Amélie Petit, directrice du Premier Parallèle.
Ma vie et mon œuvre, ce ne sont pas seulement des écrits. C’est aussi des centaines de colloques et de conférences, c’est aussi des centaines de passage sur le plateau de différentes télés et à l’antenne de différentes radios. Depuis quelques années, je suis arrivée à la conclusion que nous, les Occidentaux, ne pouvons pas changer le régime de Poutine : cette tâche incombe au peuple russe. En revanche, nous pouvons nous battre pour promouvoir la vérité sur ce régime dans nos pays et influencer les prises de décision de nos gouvernants et, plus généralement, l’opinion publique. C’est dans cette optique que j’ai fondé, avec quelques amis dévoués dont certains sont présents ici, un nouveau média en ligne, Desk Russie, qui se targue de donner une image complète et vraie de ce qui se passe en Russie et des agissements du régime de Poutine à l’étranger, notamment, dans son aventure funeste contre l’Ukraine. Malgré un budget ridicule, et grâce à plusieurs bénévoles, nous sommes de plus en plus connus et influents, nos papiers sont repris par plusieurs médias étrangers.
Pour finir, last but not least, je dois remercier ma famille, mon mari, mes deux filles et leurs consorts de leur compréhension et de leur soutien indéfectible. Ma famille, c’est mon socle qui me permet de tenir dans toutes les circonstances.
Je crois avoir dépassé mes cinq minutes. Merci encore au Fonds de dotation Brousse dell’Aquila et à mes amis qui sont venus me saluer !
Galia Ackerman
Cliché – Florence Dangelser.