Madame,
Je prends la liberté d’en appeler à votre bienveillance pour vous remercier d’avoir bien voulu accepter de recevoir ce grand prix . Vous êtes, par votre oeuvre et votre action la lauréate idoine pour une des activités d’un fond de dotation qui a pour ambition de promouvoir la connaissance du monde en s’intéressant aux grands enjeux dont les sécuritaires et les humains, sujets qui sont justement au coeur de vos préoccupations.
Vous êtes connue, Madame, pour votre remarquable et incessant travail d’herméneutique du système soviétique et du régime actuel de votre pays d’origine.
Vous êtes connue, Madame, pour votre courage cette belle vertu.
Chers et estimés amis, Galia Ackerman est une dissidente, elle est engagée, elle est même rebelle, mais surtout elle est de celles qui donnent le ton et fixent le cap.
Madame, enfant déjà vous n’aimiez pas le système dans lequel vous vous trouviez. La propagande omniprésente vous pesait. Dès 16 ans vous êtes en dissidence en assistant à des réunions, en polycopiant et en diffusant des textes d’opposants. Vos parents ignorent ces activités. Votre grand mère vous apprend le français. Vous faites des études de lettres classiques. Vous n’étiez qu’une dizaine dans votre université dans cette discipline qui n’attirait donc pas le regard de la répression. Néanmoins vous n’étiez pas en mesure d’agir. Alors votre inclination devint une aspiration, puis votre aspiration un absolu.
A 21 ans vous épousez un sioniste. Les dissidents sionistes penchaient pour un exil en Israël. C’est en 1973 que vous décidez de partir mais il fallait l’autorisation de votre père, formalité obligatoire quel que soit l’âge du candidat à l’exil. Il ne comprend pas. Il finit par accepter. Grande preuve d’amour et d’ouverture d’esprit. Il sera rétrogradé après votre départ.
En Israël vous enseignez.
Le temps passe.
En 1984, comment ne pas penser au livre de George Orwell?, vous donnez une nouvelle dimension à votre vie. C’est en France, parce que vous en connaissez et aimez la langue, que vous vous rendez, profitant d’un congé sabbatique. Rapidement « ce côté aveugle de la vie qu’on appelle l’avenir » (1) vous fait ressentir une furieuse envie de rester dans la ville des lumières. Vous y faites la connaissance de Vladimir Maximov qui vous propose de travailler avec lui. Vous voici définitivement Parisienne et vous obtenez la nationalité française. Parcours sur un chemin certes chaotique mais rectiligne. En regardant ce chemin on songe que« la vie est un puzzle étrange qui un jour s’emboite en vous »(2). Il vous reste toutefois des pièces à poser. Le combat recommence ou plutôt continue.
Ce que vous rejetez avant tout c’est le totalitarisme, l’asservissement et la soumission. Vous voulez l’avènement de la démocratie et la disparition ou pour le moins la réduction de tout système pyramidal. La russe est à même de parler de ce système quand la française que vous êtes aussi peut évoquer la démocratie. Ce système remonte à Ivan le terrible, tsar exubérant à la paranoïa violente. C’est simple : au sommet une seule personne au pouvoir absolu. En dessous des strates: chaque niveau devant idolâtrer et prêter allégeance à celui du dessus. Les boyards étaient soumis au tsar, plus tard les fonctionnaires soviétiques au parti et les ministre d’aujourd’hui auraient trop à perdre s’ils disaient quelque chose. Cinq siècles plus tard en passant par Pierre le grand et Staline la pyramide est donc intacte. Toute la difficulté de cette lutte vient donc de l’ancrage dans le temps. Dans« Le livre noir de Vladimir Poutine » récent et remarquable ouvrage sous votre direction et celle de Stéphane Courtois se pose bien la question : si Poutine perdait le pouvoir, son régime ne se maintiendrait-il pas? Oui la faiblesse de la Russie vient bien de cette structure. Mais plus encore, vous vous insurgez contre le président actuel le présentant en « homo sovieticus » manifestation visible des « services » toujours présents comme un brouillard glacé qu’aucun vent ne dissipe. Vous insistez aussi sur le drame qu’est la mauvaise lecture de l’histoire qu’il a faite. L’occident serait à l’origine de l’effondrement de l’Union soviétique alors que ce régime s’est écroulé tout seul. Le maitre du Kremlin a élaboré sa politique comme une revanche. Regrettable erreur car tôt ou tard les régimes autoritaires se doivent de prendre un virage d’ouverture vers la démocratie comme ont su le faire l’Espagne ou le Chili, c’est ce que nous rappelait récemment Jacques Attali, sinon ces régimes ne peuvent perdurer qu’en se durcissant dans une fuite en avant que constituent les conflits armés. Un marin prenant la fuite finit par trouver une zone de calme, ce n’est jamais le cas pour un pays entrant en guerre.
Votre combat, Madame, est rude et requiert beaucoup de courage.
Chaque année les cinq Académies de France font une rentrée commune sous la coupole. En 2005 elle était sur le thème du courage et dédiée à Pierre Messmer. Chaque délégué a donc fait un discours sur ce sujet. Maurice Druon s’adressant à Messmer et évoquant sa présence parmi les immortels dit » Il était juste et il était nécessaire que vous y figuriez, afin d’y être l’image d’une disposition de l’âme sans laquelle toutes autres vertus seraient inopérantes: le Courage » Puis vint le tour de Renaud Denoix de Saint Marc au nom de l’Académie des sciences morales et politiques dont faisait également parti Pierre Messmer, il dit « L’ambition dont l’homme d’Etat devrait se sentir investi serait d’avoir le courage de réhabiliter le courage dans notre société ».
Il n’est pas sûr qu’aujourd’hui le principe de précaution y aide et Soljenitsyne pourrait encore dire « Le déclin du courage est particulièrement sensible dans la couche dirigeante et dans la couche intellectuelle dominante, d’où l’impression qu’il déserte la société toute entière » .
Mais vous Madame , vous l’avez cette vertu.
Aussi, ce n’est pas sans raison ni fierté que je vous remets ce grand prix au nom du Fond de dotation Brousse dell’Aquila.
Benoit Montanié
(1) Alexandre Dumas
(2) Valérie Pécresse.