Début 2020, nous écrivions dans ces colonnes « Comment la crise sanitaire remet en question la puissance chinoise ? ». En ce début d’année du Lapin d’eau (on se gardera bien de gloser sur la symbolique et les prévisions horoscopiques), il convient de faire un point synthétique sur le plan intérieur et à l’international de la République populaire de Chine (RPC) et de dégager les principales tendances pour les années à venir.
Trois années de pandémie, le 20e Congrès du PCC, les tensions accrues avec Taiwan, la guerre en Ukraine et les manifestations inédites depuis Tian’anmen auront des conséquences profondes sur l’exercice du pouvoir.
Les dix années de pouvoir de Xi Jinping, trois fois chef (du Parti, de l’Etat et de l’APL), auront partout renforcés le poids du Parti, à la fois dans l’économie, dans l’obsession du contrôle tous azimuts et dans la rupture de l’approche héritée de Deng Xiaoping. Derrière l’affichage de la force se cachent des fragilités (structurelles et conjoncturelles) que le régime a toujours plus de mal à dissimuler. Plus que jamais, les logiques intérieures orientent les choix extérieurs. La métaphore des crises du centre et de la périphérie n’est toujours pas réglée. Ces crises demeurent des facteurs importants de vulnérabilité pour le régime. Les tensions liées au ballon sonde chinois attestent de la compétition avec les Etats-Unis et la fébrilité de l’appareil du Parti-Etat chinois.
La Chine à l’intérieure ? Forces centripètes structurelles et conjoncturelles
En ce début d’année, quatre points essentiels semblent se dégager comme problématiques durables : la pandémie, la démographie, l’économie et le politique (à tous les niveaux de hiérarchie depuis le local jusqu’au bureau politique).
Le régime a subitement mis fin à la politique (très intrusive et draconienne) dite « 0 Covid » le 7 décembre 2022. Si cette décision soudaine est liée à la colossale dépense publique (146,8 milliards de yuans en trois ans – plus de 19 milliards d’euros en trois ans pour le seul Guangdong), elle est néanmoins articulée à la contestation de la population et a pour finalité de tenter de raccrocher l’appareil économique et productif à une meilleure croissance pour 2023… non sans peine… Alors que plusieurs centaines de millions de déplacements sont en cours dans tout le pays depuis plusieurs jours, le brassage des populations va occasionner une recomposition de la pandémie et des variants. L’ensemble du pays sera touché et de nouvelles vagues de contamination vont gagner l’Asie, et rapidement (quelques semaines) le reste du monde.
Si certains observateurs avancent que le pic est passé dans certaines villes (notamment à Shanghai), la pandémie va durer encore de longs mois, voire plusieurs années. Les autorités chinoises ont, dans un exercice de communication, annoncé mi-janvier, environ 60 000 décès. D’autres chiffres, notamment ceux de l’institution britannique Airfinity font plutôt état de 700 000 décès depuis début décembre.. Partout dans le pays, les images d’hôpitaux, sont nombreuses à montrer nt une sursaturation capacitaire, en particulier dans les grandes villes de l’est et du centre. Plus rares sont les images dans les villes de taille plus modeste et dans les campagnes chinoises. Le niveau de couverture médicale y est encore moindre et la situation critique.
Le taux de vaccination est encore en-dessous du seuil suffisant de protection de la population, notamment des personnes les plus âgées, dont on connaît la vulnérabilité au virus SARS-CoV-2.
D’une manière générale, la levée soudaine des restrictions en matière de politique « 0 Covid » a fait se propager le virus à une intensité inédite entraînant une pression très forte sur les hôpitaux et leur capacité d’accueil, des pénuries de médicaments provoquant ainsi une déstabilisation du système de santé (déjà fragile et incomplet). Alors que la la population chinoise n’a qu’une confiance limitée dans le vaccin, que le taux de vaccination est insuffisant, les autorités devront organiser une vaccination (avec rappels) de très grande ampleur. Le temps pour le développement de nouveaux variants qui déjà induisent une incertitude non seulement des marchés boursiers, mais aussi du voisinage régional chinois, de Singapour au Japon en passant par la Corée.
L’économie chinoise est affaiblie par trois années de restriction liées aux mesures politiques du régime et à la dégradation de l’environnement stratégique international et au ralentissement de la demande mondiale. L’économie chinoise est aux prises avec des difficultés structurelles et conjoncturelles (vieillissement et poursuite de la chute de la fécondité, montée du chômage –plus de 20 % des moins de 30 ans-, crise de l’immobilier, secteur privé, énergie, crise environnementale etc.). Les autorités chinoises annoncent pourtant déjà un rebond de l’activité économique pour 2023. En cas de fort rebond au deuxième semestre, les conséquences seraient difficiles pour l’économie mondiale, notamment pour la reconstitution des stocks de gaz européens, les prix (inflation), les taux d’intérêt et les matières premières.
Parmi les enjeux majeurs à court terme, celui de la crise de l’immobilier est fondamental. Les faillites de Evergande ou Huarong en témoignent. Ce secteur (finalement l’un des moteurs du « miracle » économique chinois des années 1980 à 2010), représente probablement près de 30% du PIB chinois (environ 20 % des emplois). Depuis une à deux décennies, ce secteur rassemble 75 % des actifs financiers des ménages.
D’autre part, le shadow banking (système bancaire parallèle) demeure et est congruent des pratiques de corruption à toutes les échelles.
Le manque de liquidité ne permet pas au Parti-Etat de maintenir à flot l’ensemble des objectifs économiques. Malgré tout, le solde commercial continue d’être massif (plus de 900 milliards de dollars cumulés sur l’année 2022), lié bien sûr aux marchés consolidés d’Europe, d’Amérique du nord et de l’Asie industrialisée et développée. La demande intérieure chinoise demeure médiocre. Une réunion importante au début de l’année conduite par Xi Jinping portant sur le secteur immobilier et l’assainissement des finances (afin de « mieux » les réguler,) rappelle l’urgence à court et moyen terme pour le régime.
Le nouveau Politburo inféodé à Xi Jinping ne laisse pas d’hypothèse à un successeur potentiel. Le pouvoir serait dès lors établi dans la durée. C’est bien le sujet qui induit discrètement plusieurs mécontentements au sein du Parti (et au sein de la population et des factions internes au Parti). Les mouvements de contestation de l’automne dernier ne vont pas disparaître et ne laisser aucune trace. D’autant qu’avec le Covid, une génération est en train de disparaître brutalement dans une société confucéenne où la place des « anciens » reste un sujet important.
Rappelons néanmoins que malgré les difficultés économiques structurelles et conjoncturelles, le marché reste très captif. Cette année aura connu le plus important montant d’introduction en Bourse (estimé à 92 milliards de dollars en Shanghai, Pékin et Shenzhen), ce qui reste faible par rapport aux principales place mondiale et surtout moins diversifié.
La Chine dans le monde ? Sauver la face et forces centrifuges
Face au ralentissement économique, le régime a un large spectre de problèmes auxquels il doit faire face, en ces temps de refondation des responsabilités du Parti (issue du 20e Congrès) et de l’Etat (mars 2023 après les « deux assemblées » qui verront l’installation de la Présidence de Xi et Li Qiang Premier ministre). L’enfermement politique (comme une nasse) dans lequel les choix de Xi Jinping ont conduit le régime et la Chine donne lieu à un rééquilibrage de l’image de la Chine. La déclaration : « la Chine est ouverte », de Liu He (envoyé spécial de Xi Jinping, vice- Premier ministre) à Davos, souhaite rassurer les principaux clients de la Chine (l’Occident) et redorer une image écornée. Une façon allusive de dissiper le poids des incertitudes tous azimuts qui animent la seconde puissance mondiale.
Et pour cause, la rivalité stratégique sino-américaine continue de structurer les relations internationales, dont Taiwan est devenue en peu de temps, l’un des points de tension essentiel : scénarii d’invasion, concentration de la production (stratégique) de semi-conducteurs (de 5 à 3 nm et demain 1 nm), dissuasion nucléaire chinoise, lutte contre le régime démocratique. Alors que des élections présidentielles auront lieu à Taiwan, comme aux Etats-Unis en 2024, le PCC à court terme ne se risquera pas politiquement dans une invasion militaire, mais cherchera à neutraliser les capacités diplomatiques de Taiwan. En ce sens, Wang Huning a pris une place importante pour les sujets stratégiques relatifs à Taiwan. A très court terme, plus que le risque de la haute intensité, c’est bien la pression et l’interférence qui marqueront les prochains mois.
Incontestablement, 2023 et l’évolution du conflit en Ukraine montreront jusqu’où iront les connivences sino-russes. e, La Chine et la Russie animent une connivence tactique et stratégique contre l’Occident, souvent dépeinte ( à tort) comme une alliance, dans une relation très asymétrique. La guerre en Ukraine le montre très pertinemment.
Si 2022 fut l’année record des intrusions aériennes dans l’ADIZ de Taiwan (1700) et une forme de normalisation ou de banalisation depuis la visite de Nancy Pelosi en aout 2022 visant à changer progressivement le statu quo ; la situation dans le détroit et les scénarii se sont à la fois confortés et adaptés avec l’offensive russe en Ukraine depuis février 2022.
La première visite de Qin Gang, nouveau Ministre des Affaires étrangères (notamment en Egypte, au Bénin, en Ethiopie, au Gabon, en Angola) symbolise l’importance des mondes non-occidentaux dans les priorités de politique étrangère de la Chine. Pékin travaille à un resserrement des relations avec le continent africain, malgré les successives prises de conscience du piège de la dette dans le cadre ou non des « Nouvelles routes de la soie ». Aussi, la RPC cherche des points d’appuis en Europe contre les Etats-Unis, notamment à travers le mirage du rebond économique. Pékin cherchera à rallier dans son camp plusieurs pays de l’Union européenne comme contre-poids à la puissance américaine. Plus largement, la République populaire de Chine souhaite entretenir un dense réseau de relations avec les pays émergents, en développement et non-occidentaux (Iran, Moyen-Orient, Brésil etc.), levier contre l’occident, en particulier à l’ONU et dans la volonté de façonner un ordre international en faveur de la Chine. L’exemple récent de contrat sur les hydrocarbures en Afghanistan montre combien le « vide » laissé par les puissances occidentales est rapidement comblé par la puissance voisine, faisant fi du droit et des sanctions internationales, en collusion avec le régime taliban.
Enfin, l’épisode du ballon sonde chinois montre combien le régime de Pékin souhaite investir des champs nouveaux en matière stratégique et de renseignement. Capable d’évoluer longtemps à moindre cout dans la stratosphère, le ballon sonde délibérément destiné à tester les réactions nord-américaines a suscité une réactivité politique et militaire de Washington, reprenant le dessus. La maîtrise de l’image et du tempo par l’administration Biden marque le début de l’entrée en campagne présidentielle des différents camps politiques. D’autre part, cette séquence signe l’impossibilité à court et moyen terme de réchauffement des relations entre les deux puissances
Compte tenu des perspectives de récession mondiale confirmée par la Banque mondiale et le FMI d’un côté, les réunions de l’ANP en mars prochain de l’autre, il faut s’attendre à de nouvelles formulations en matière de politique intérieure et extérieure pour détourner l’attention des difficultés croissantes pour le régime. La volonté de restaurer le magistère d’autrefois est aux prises avec le dilemme d’une Chine post-impériale entre interdépendances (globales) et autonomie, voire fantasme autarcique. En ce premier quart de siècle, l’économie, la perte d’attractivité et la nasse politique forment autant de vulnérabilités pour un pouvoir bien moins sûr de lui-même et de son avenir qu’il le laisse croire.