Dans notre Occident démocratique la fin du printemps a été ourlée des bizarres guirlandes qui précèdent ou suivent des élections.
Les scrutins bousculent et secouent doutes ou certitudes, vérités et mensonges qui nichent chez les honnêtes citoyens, dont le nombre s’amenuise, qui se soucient du bien public.
En démocratie, pour gouverner il faut convaincre l’électeur. Même s’il est fantasque, égoïste, souvent ignorant, occupé par le court terme, mené par des passions grandes ou minuscules, à la fin il a toujours le dernier mot. C’est le fameux Vox populi vox Dei.
Ainsi par exemple, malgré les grand-messes internationales consacrées au climat, l’humanité des humbles continue, farouchement, à ne pas aimer les voitures électriques. Non parce que la plupart du temps elles consomment une électricité fortement carbonée, mais comme disaient les gilets jaunes, aller du diesel vers l’électrique perturbe les routines et est couteux à l’usage. Pour s’ absoudre il eût suffi de dire, ce qui est vrai, que le cycle de fabrication des composants électriques est hautement polluant. Mais non, il vaut mieux mépriser cette gentry qui ne devrait jamais donner une arrogante leçon aux économiquement faibles. Rouler en voiture ou vélo électrique sur de tout petits trajets peut, ainsi, parfois, ressembler à de la provocation sociale.
Alors volens nolens le monde veut continuer à rouler en voiture thermique.
Dans le même fil, les classes moyennes, occidentales veulent continuer à consommer ; pour les vacances on prend l’avion plus que jamais ; les croisiéristes font fortune grâce au buffet à volonté et autres dépenses d’oisiveté en « all inclusive » ; pas d’inutiles dépenses aux escales pour Gnafron et d’Artagnan .
Les sportifs sont les vrais héros millionnaires, les politiciens comme Trump virent prophètes. Les anciens se demandent ce qu’ils ont mal fait, avant de demander indirectement à leurs enfants de s’endetter pour payer leur retraite !
Pourquoi pas, ils l’ont bien fait, eux, pour leurs parents !
Le vieux monde se perd et s’interroge en Absurdistan.
Alors on organise des élections comme des messes, dans une routine rance, politiquement muette, supposée rédemptrice.
Tout comme autour du monde on fait ou on va faire le « Job démocratique » comme en Argentine ou en Afrique du Sud.
En Afrique, en mars, après quelque péripéties, le Sénégal démocratique, a néanmoins réussi à élire régulièrement un nouveau président.
Vieux pays sur-administré abîmé par une corruption endémique qui a néanmoins enregistré au cours des dernières années une croissance spectaculaire stimulée par l’investissement étranger et des exportations croissantes. Ce succès économique fondé sur l’échange extérieur a été malheureusement insuffisant pour dissuader une jeunesse d’émigrer vers les destinations « rêvées » que sont l’Europe ou les États Unis. Alors, le pays dans un rejet passionnel et gêné de l’Occident a élu, au premier tour, avec 54% des voix un jeune inspecteur des finances, polygame et homophobe qui entend prendre ses distances avec l’Occident. « fair enough », mais quel est le projet du pays ? Compter sur ses propres forces ? Se tourner vers de nouveaux amis, Chinois ou Russes aussi tolérants que lui en matière de mœurs et probablement un peu plus généreux que les occidentaux en matière de pots de vin?
En Asie, dans le monde en mouvement, l’Inde elle aussi encore démocratique, à la surprise générale, n’a pas donné à Modi une majorité suffisante pour bouleverser la Constitution, subjuguer les minorités religieuses du pays et le diriger vers un régime si possible moins corrompu, plus efficace, plus autoritaire à forte inclinaison théocratique. Ouf.
Le futur de ses institutions et de son « contrat social » et sa posture vis-à-vis du monde est un enjeu global qui soulève espoirs et craintes.
En Europe, l’élection des membres du Parlement européen a montré un glissement des opinions vers les extrêmes de l’échiquier politique ; les partis traditionnels sont partout affaiblis. Ainsi il est assez « savoureux » d’observer qu’ en dépit de la perception sensible des effets du réchauffement climatique, les partis écologistes les plus structurés marquent un très fort recul. De fait, il ne font que payer pour leurs péchés originels : manipulations par la Stasi en RFA, noyautage par l’ ultra gauche violente ailleurs, discours de comptoir centré sur le Bien etc…
Mais, à la fin, comme dans certains sports c’est la coalition libérale conservatrice de Strasbourg qui, bien qu’ayant glissé sur sa droite se maintient en pivot majoritaire au Parlement de Strasbourg.
Comme avant.
A l’ouest du continent des coups de tonnerre un peu inattendus sont venus depuis le Royaume Uni et la France ; en deux mots : « snap elections ».
Au Royaume Uni, constatant sans l’avouer que le Brexit a transformé le pays en un poids très léger sur le plan international -surtout aux yeux de son allié américain -et en pays zombie en Europe, le jeune premier ministre Tory Rishi Sunak a décidé d’écourter sa propre agonie politique et celle du parti conservateur.
Le déclenchement du renouvellement surprise des Communes est la carte désespérée jouée par un chef de gouvernement presque partout en échec.
Cette accélération, de quelques mois, du calendrier fait le lit d’un parti xénophobe populiste concurrent du parti conservateur : Reform UK.
Ce parti récent qui désire et va probablement phagocyter l’électorat Tory a quelques chances au moment où ces lignes sont écrites de se placer en tête de l’opposition à la future majorité Labour.
C’est une révolution.
Fait intéressant, conscients et prenant en compte les difficultés économiques et budgétaires, la profondeur du délabrement des services collectifs, la montée de l’immigration illégale ou les dysfonctionnements du sacro-saint système de santé, les leaders de Reform UK MM. Farage et Tice ne veulent que s’opposer, pas gouverner.
En effet les perspectives sont noires de tous côtés. Aujourd’hui « orgueilleusement seules » les îles britanniques font face à des vagues de migrants sans précédent, des services publics délabrés, une crise économique et financière profonde et une population résignée.
Le pays se fracture sous les yeux d’une insolente richesse Londonienne, sous la férule d’une classe politique archaïque qui implose lentement « stiff upper lip ».
En conclusion :« Bleak ».
Plus généralement depuis son engagement vassal au côté des USA en Irak, le modèle de société britannique montre la même maladie que le reste de l’Occident : déclin démographique accéléré, fractures socio-culturelles, incapacité à affronter collectivement les premières difficultés de l’ère numérique.
Comme pour le reste de l’Occident le remède ne viendra qu’en affrontant la réalité en face, avoir le courage de dire, avoir celui de faire dans l’inconfort, avec vaillance, contre une grande partie des opinions publiques.
L’Allemagne, elle non plus, ne se libère pas de ses démons. Le camouflet qu’a représenté, pour la coalition au pouvoir, le résultat des élections européennes a montré la faiblesse du fédéral mais aussi l’épuisement d’un système politique comparable à celui de la fin de la République de Weimar. La sèche défaite des écologistes est à mettre au crédit des vieux errements du parti, vert en surface mais très rouge à l’intérieur. Toutes ses incantations passées, toutes ses anciennes postures sur l’énergie nucléaire, le gaz russe, son ex-pacifisme militant pro-« Rusland » sont aujourd’hui réexaminées à l’aune de vieilles accointances sulfureuses avec l’Est.
Malgré des positions pragmatiques d’Annalena Baerbock Ministre des Affaires Étrangères verte de la coalition, la défaite illustre le profond désarroi de l’opinion face à la Doxa verte.
D’un autre côté, l’AFD de plus en plus ouvertement pronazie, malgré les tares avérées de ses dirigeants, continue sa progression principalement dans les Landers de l’Est ; le petit peuple vote massivement pour l’extrême droite. Le malaise abyssal que révèle cette popularité appelle autre chose que des incantations bien pensantes.
L’imbroglio institutionnel fédéral, le clientélisme politique induit à Berlin comme dans les Landers, sont les obstacles principaux à une action publique efficace et moderne qui réponde aux malaises de citoyens perdus, dépourvus d’élan collectif positif. Victor Hugo disait aux élites politiques qu’elles doivent «le pain et la lumière ». Certes.
Aussi, néfaste pour l’Allemagne est le pauvre choix du Chancelier d’écarter la recherche d’une recomposition politique. Elle eût requis une remise en cause de l’architecture de la politique économique et sociale allemande, comme une révision institutionnelle. Ce choix par défaut est non seulement mauvais pour notre continent mais aussi pour l’Occident démocratique.
En France, devant une défaite électorale qui fait suite à des échecs politiques répétés et à un désastre économique et budgétaire qu’il a largement construit, un Président personnellement impopulaire a fait le choix des urnes via une dissolution de l’Assemblée Nationale.
Sur le principe nul démocrate ne doit s’en plaindre.
Cependant cela présente au choix des électeurs une offre politique réduite à trois blocs sans frontières claires, dont deux sur trois se placent aux extrêmes.
Dans le bloc de gauche ouvertement intolérant , l’antisémitisme, la ségrégation sociale et le soutien au Hamas font partie d’ une stratégie violente de rupture masquée par une démagogie redistributrice illimitée, avant d’être confiscatoire.
Dans le bloc de droite, le parti principal dont l’appareil est appointé par une puissance étrangère à laquelle la France comme l’occident s’oppose militairement, demeure généralement xénophobe, antieuropéen et profondément vague sur un programme d’essence démagogique intenable pour le pays compte tenu de notre dépendance vis-à-vis de l’extérieur (les déficits budgétaires et commerciaux sont largement financés par l’épargne étrangère !).
Au centre le groupe qui a échoué, avec toutes les cartes en main il y a une dizaine d’années, s’accroche au pouvoir sur le thème « laissez-nous continuer à faire le travail » !
Inutile , improductif et très maladroit.
Alors, sans tenir compte de l’état de faillite financière avérée du pays, les trois blocs délivrent des programmes aux coûts peu ou prou ahurissants pour un pays déficitaire sans interruption depuis un demi-siècle et par ailleurs, un des plus écrasé d’impôts au monde.
Les électeurs français, plus que les britanniques ne s’expliquent pas pourquoi les services publics pléthoriques sont en totale déshérence, pourquoi la réduction du temps de travail de la population active réduit mécaniquement les capacités financières de redistribution ; pourquoi la préoccupation de l’opinion pour les conséquences de l’immigration sur un pays en déclin démographique ne sont ni expliquées, ni prises en compte.
Comme beaucoup d’autres pays démocratiques, la France tirant les leçons de la défaite des partis gouvernementaux dans les élections européennes, confrontée à un parlement ingouvernable incapable de voter un budget 2025, s’est elle-même jetée dans le chaos. L’apparition de celui-ci est prévue après les élections législatives quelle que soit l’existence ou l’inexistence d’une majorité de gouvernement.
Contrairement au cas Britannique les heures très sombres qui se dessinent devant les français, n’affecteront pas seulement le pays mais aussi toute l’Europe. Cette dernière peut y perdre son unique pays doté de l’arme nucléaire, une économie significative fortement intégrée à l’ économie allemande. Cette dernière, après avoir subi une baisse des échanges avec la Chine et la Russie et une remise en cause de sa politique énergétique recevrait, comme la zone Euro, un nouveau très très mauvais coup .
Il nous faudra limiter dans le temps comme dans l’intensité le chaos qui nous attend, sans céder un pouce de nos valeurs héritées de la Renaissance et des Lumières, et certainement se battre pour renouveler en profondeur notre offre politique.
Nous devrons aussi nous inspirer d’Ibn Khaldoun plutôt que de Machiavel.
Le dernier croyait trop à la volonté et au pouvoir des princes, alors que le premier cherchait le ressort des peuples dans le désir, le mouvement, la volonté et le pillage.
Aussi l’Europe et l’Occident qui ont soupé du très coûteux esprit de conquête porté depuis les grandes découvertes doivent se trouver un nouveau Nord. Il permettrait d’une part de défendre les parties non obsolètes de cette Civilisation qu’elles partagent depuis cinq siècles; et d’autre part éviter de reproduire le suicide d’Août 1914 en proposant un nouveau monde civilisé et probablement numérique .
A Cheval !