La Chine et les pays du Caucase sud

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LA CHINE ET LES PAYS DU CAUCASE DU SUD : ASYMÉTRIE ET
SEGMENT STRATÉGIQUE CHINOIS EN EURASIE

Les relations entre la Chine et les pays du Caucase [1] du sud s’inscrivent dans la trajectoire d’une part de la montée en puissance commerciale et diplomatique de Pékin, d’autre part dans l’effacement de l’URSS et la recomposition politique de l’espace post-soviétique. Cette note propose de donner les grandes caractéristiques d’une relation très asymétrique (tant les échelles entre les Etats sont importantes) entre la République populaire de Chine et les trois Etats du Caucase sud – Azerbaïdjan, Arménie, Géorgie.

Si le projet Belt and Road Initiative (BRI) a donné une visibilité accrue de la présence chinoise dans le Caucase et une indéniable augmentation des échanges commerciaux, la relation diplomatique est plus ancienne, tout comme le commerce bilatéral. Dans le prolongement de l’Asie centrale, Pékin perçoit le Caucase comme l’un des espaces carrefour entre l’Asie et l’Europe et une voie de contournement de la Russie. La présence chinoise est globale et diversifiée, plus intense en Géorgie et en Azerbaïdjan, notamment par l’importance des entreprises publiques dans les infrastructures et les liens politico-commerciaux développés ces vingt dernières années.


La Chine et le Caucase, une relation asymétrique dans le prolongement de l’Asie centrale

Parfois perçu comme un angle mort des relations diplomatiques et commerciales de la Chine, le Caucase du Sud est dans les faits une région qui n’était pas prioritaire dans les années 1980 et 1990. L’importance prise par la présence chinoise en Russie, en Asie centrale et en Iran, tout comme au Moyen-Orient arabe induit une prise en compte plus importante de la zone par la diplomatie chinoise et son commerce. Néanmoins, le réseau diplomatique chinois est bien représenté dans les trois pays et inversement, dès le début des années 1990, la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ouvriront des postes diplomatiques et ambassades en Chine. Rapidement, en plus des échanges diplomatiques, plusieurs coopérations et liens universitaires seront constitués. Plusieurs centaines de jeunes géorgiens, arméniens et azerbaidjanais seront formés en Chine (programmes de langue chinoise et divers programmes d’enseignement supérieur, des sports aux sciences, en passant par l’économie) dans les grandes universités de Pékin, Shanghai, Canton, ou des villes de l’intérieur (Xi’an, Chengdu, Hangzhou, Wuhan, etc.). Indéniablement, le projet BRI a largement accompagné une montée en puissance de la relation sino-caucasienne dans le cadre de la diversification des partenariats et coopérations, et également dans l’augmentation du commerce bilatéral. Les grandes entreprises publiques chinoises sont bien représentées et participent pleinement de la diplomatie bilatérale et régionale.


Les échanges entre la Chine et la Géorgie

Le commerce bilatéral sino-géorgien pour l’année 2022 s’élève à près de 2 milliards de dollars, dont 759 millions d’export géorgien vers la Chine et 1,24 milliard d’export chinois vers la Géorgie. Sur la même année, près de 80 % des exports géorgiens vers la Chine étaient du minerai de cuivre et 10 % en plus, de minerais de métaux précieux. Les exportations chinoises vers Tbilissi sont principalement des biens de consommations (ordinateurs, climatiseurs, électroménager etc.), des matières plastiques (pour l’industrie), des matières métalliques pour la construction, du textile etc. Ces différents produits issus de l’industrie chinoise représentent plus de 50 % des volumes exportés vers la Géorgie. Si la quasi-totalité des exportations géorgiennes vers la Chine concerne des matières premières et des produits agricoles et alimentaires, la Géorgie importe une très large gamme de produits de consommation et pour une utilisation et ou transformation locale (construction, équipements, infrastructures, chimie etc.). En septembre 2024, la Chine a exporté environ 153 millions de dollars et importé plus de 31 millions de dollars de Géorgie. Entre septembre 2023 et septembre 2024, les exportations chinoises ont diminué de plus de 10 millions de dollars et les importations ont augmenté de plus de 20 millions.




Entre 2005 et 2024, Pékin a investi 2,84 milliards de dollars dans les infrastructures, la finance, l’immobilier, l’énergie et le tourisme. Les domaines des transports et de l’énergie concentrent une très large partie de ces prêts et investissements. A titre d’exemple, les sociétés provinciales et ou étatiques dans les infrastructures de transport ont largement investi. La China Railway Engineering a investi pour un montant de 310 millions de dollars en 2021, la Guizhou Highway Engineering pour un montant de 200 millions de dollars en 2020 ou encore la China Communications Construction pour un montant de 370 millions de dollars en 2019. Les premiers investissements significatifs chinois en Géorgie se sont produits en 2008 dans les infrastructures et le tourisme à hauteur de 200 millions. La construction de la route Tbilissi-Vladikavkaz est devenue assez symbolique de la présence chinoise dans le Caucase.


Les échanges entre la Chine et l’Arménie

En 2022, le commerce bilatéral sino-arménien s’élevait à près de 1,5 milliard de dollars. La balance commerciale demeure largement favorable à Pékin. L’Arménie exportait pour une valeur de 420 millions de dollars de produits, contre une valeur de 1,1 milliard de dollars d’exportations chinoises vers l’Arménie. Quasi essentiellement issues de matières premières et agricoles, les importations chinoises d’Arménie, sont très largement composées par l’extraction de minerai de cuivre (66 %) et de minerai de molybdène (20%). Les 20 % restant étant ventilés entre des matières pour le textile et des métaux (plus ou moins traités, à l’instar du cuivre raffiné). En revanche, l’Arménie importe, à l’instar de ces voisins caucasiens, une très vaste panoplie de produits manufacturés (ordinateurs, moteurs, machines électroniques et électriques) pour plus de 60 % du total. Le reste est ventilé entre différents produits pour le marché local (textiles, transports-véhicules et pièces, matières plastiques, produits métalliques etc.).


En septembre 2024, la Chine a exporté plus de 104 millions de dollars de produits et importé plus de 107 millions de dollars de matières premières et produits agricoles. La balance commerciale est négative (environ 3 millions de dollars). Entre septembre 2023 et septembre 2024, les exportations chinoises ont augmenté de 45 millions de dollars, alors que les importations ont augmenté de 4 millions de dollars. L’Arménie a moins polarisé d’investissement que ces deux voisins du sud Caucase. Néanmoins, en 2023, la société Shanxi Construction Investment a investi 130 millions de dollars dans un projet énergétique et de construction.


Les échanges entre la Chine et l’Azerbaïdjan


Le commerce bilatéral sino-azerbaidjanais s’élevait pour l’année 2022 à un total de 1,73 milliard de dollars. Dans le cas des relations sino-azerbaidjanaise, l’asymétrie est beaucoup plus marquée qu’avec des voisins de la région. La Chine importait pour une valeur de 216 millions de dollars de produits, essentiellement des produits pétroliers et minerais. Le pétrole représentait 53 % des importations, tandis que le coke de pétrole [2] s’élevait à 20 % et les métaux à plus 10 %. Aussi, les polymères d’éthylène représentaient 13 % du volume total. Il s’agit d’une industrie intégrée du pétrole, des ciments et de la métallurgie entre la Chine, le Moyen-Orient et la Russie. L’Azerbaïdjan exportait la même année un peu plus de 1,5 milliards de dollars de produits manufacturés recouvrant là aussi une vaste gamme, allant des ordinateurs, aux moteurs en passant par le textile, les pièces de véhicules, voitures, produits plastiques et métalliques etc. Comme dans le cas des ses deux voisins, Bakou importe massivement des machines (décrites plus haut), à hauteur de plus de 50 % du total. Le marché local est ainsi saturé de biens chinois mais également pour une transformation et assemblage local.


En septembre 2024, la Chine a exporté pour une valeur de 246 millions de dollars et importé pour près de 3 millions de dollars d’Azerbaïdjan. La balance commerciale est positive. Entre septembre 2023 et septembre 2024, les exportations chinoises ont augmenté de 124 millions de dollars tandis que les importations ont elles diminué de 4,5 millions de dollars. Entre 2005 et 2024, Pékin a investi pour un montant de 2,19 milliards de dollars en Azerbaïdjan. Les domaines de l’énergie, de l’immobilier, des transports et de la métallurgie sont représentés. En 2018, l’un des investissements les plus significatifs concerne la métallurgie. La société China National Machinery Industry (Sinomach) a investi un montant de 1,1 milliard de dollars dans un vaste projet de construction pour l’extraction (pétrolière). Ce projet sera consolidé par un autre investissement en 2019 dans le secteur des transports par la même société publique Sinomach (pour un montant de 270 millions de dollars).

Le Caucase, l’un des carrefours stratégiques et Grand Jeu pour Pékin dans le long terme

Le Caucase du sud est géographiquement l’un des segments du « corridor médian ». Après avoir traversé l’Asie centrale par le Kazakhstan, l’Ouzbékistan et la mer Caspienne, les trois pays du Caucase du sud constituent une voie de passage vers la mer Noire et l’Europe. Dans ce sens, le développement des investissements chinois dans les infrastructures de transports (routes, tunnels, ports, rails etc.) vise à améliorer et maîtriser la connectivité d’est en ouest. La Guerre en Ukraine (depuis février 2022) a confirmé l’intérêt de la Chine pour construire des routes alternatives à la Russie dans le cadre plus général du projet BRI. Par exemple, le trafic de conteneurs entre la Chine et l’Europe a augmenté de plus de 30 % en 2022, puis a ralenti de près de 40 % e 2023, en raison d’un engorgement. Les récents investissements chinois dans les grandes infrastructures souhaite pallier ces déséquilibres. La société publique CCCC (China Communications Construction Company) présente dans le monde, a construit (2024) la route Bakurtsikhe-Tsnori pour renforcer le « corridor médian », et, plus largement d’améliorer les procédures douanières, la présence numérique chinoise et la logistique. Dans le même temps, CCCC remportait le projet portuaire en eaux profondes d’Anaklia via sa filiale (à Singapour) China Harbour Investment. Plus généralement, tous les projets de plus de 100 millions de dollars dans les infrastructures ont été remportés et opérés par la Chine. La façade portuaire géorgienne pourrait constituer l’un des hubs entre l’Asie et l’Europe, et le Moyen-Orient. Anaklia détenu à 49 % par les consortiums chinois, se compléterait d’une volonté chinoise de construire le nouvel aéroport international de Vaziani (site militaire).


La région est également l’objet d’un intérêt particulier des puissances régionales asiatiques comme l’Inde (projet indien de North-South Corridor), ou du Moyen-Orient, comme les pétromonarchies du Golfe. Ceci vient nourrir une rivalité entre puissances sur le terrain caucasien. Le renforcement de la présence chinoise dans tous les domaines (universitaire, diplomatique, culturel, politique, sécurité intérieure) confirme que la région du Caucase n’est pas une priorité chinoise mais procède davantage d’un pavement dans le temps long de voie de communication, de sécurisation des approvisionnements et d’une influence croissante au bénéfice de la légitimité chinoise dans la région. Cette dernière serait un segment utile à la stratégie chinoise dans sa globalité en Eurasie. Les pays du Caucase poursuivent malgré les dissensions fortes entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan d’une part, et les troubles politiques en Géorgie d’autre part, à témoigner de leur volonté de rejoindre le cadre multilatéral des organisation internationales non-occidentales (OCS, BRICS + etc.).

[1] Le Caucase correspond géographiquement à une vaste région cloisonnée par un important espace montagnard qui sépare l’Orient de l’Occident, de la mer Noire à la mer Caspienne, composé par la Russie, la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Cette note se concentre sur les trois Etats du Caucase du sud (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan).

[2] Le coke de pétrole, nommé par analogie avec le coke produit à partir de charbon. Il s’agit d’un coproduit des raffineries de pétrole. Il est utile dans l’industrie du ciment et la métallurgie.


Emmanuel Véron

Initialement publié dans la Lettre de Chine hors les murs n°62

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