Morgan Deroiné, Université de Bretagne Sud et Laetitia Miquerol, Ifremer
Les engins de pêche (filets, casiers…) sont fabriqués à partir de plastiques dont la durée de vie peut atteindre plusieurs centaines d’années, un vrai problème lorsqu’ils sont perdus en mer.
L’accumulation et la fragmentation progressive de ces déchets dans les eaux ont des conséquences néfastes pour la faune marine, comme l’ingestion de particules de plastique qui impacte ensuite l’ensemble de la chaîne alimentaire.
Autre problème notable dans la liste des risques liés aux dispositifs de pêche dans l’environnement : les engins perdus peuvent être à l’origine de ce qu’on nomme la « pêche fantôme », en continuant de piéger des animaux marins.
Une offre alternative à construire
Prenons l’exemple précis de la zone de la Manche où le secteur de la pêche et de l’aquaculture représente une activité économique importante, avec 15 % des parts du marché européen. Ici comme ailleurs, les professionnels manquent d’équipement à durée de vie contrôlée : il n’y a pour le moment pas d’engins de pêche biodégradable disponible sur le marché même si plusieurs projets de recherche sont en cours.
Or la substitution de ces plastiques par des matériaux biodégradables représente aujourd’hui une alternative promue par la directive européenne. Dans une démarche globale de réduction des déchets, il devient primordial d’adapter la durée de vie du matériau à son utilisation.
C’est dans cette optique que six institutions de recherche et quatre partenaires industriels se sont regroupés au sein du projet INdIGO pour assurer le développement et l’adoption d’un nouveau filet biodégradable par les professionnels de la pêche et de l’aquaculture.
INdIGO s’attache aussi à améliorer la prévention et la gestion des pollutions générées par les engins, en identifiant les filières de recyclage existantes et en développant une application pour localiser les engins déjà perdus via le programme de science participative « Fish & Click ».
« Fish & Click », en savoir plus sur les engins de pêche perdus, abandonnés ou rejetés
Depuis 2020, Fish & Click sollicite les usagers de la mer (plongeurs, pêcheurs, plaisanciers, promeneurs) afin de recenser le matériel de pêche perdu ou abandonné en mer et sur le littoral. Les observations sont signalées via un formulaire simple et accessible à tous, sur le site Internet ou sur l’application mobile Fish & Click. La catégorie du matériel retrouvé, le lieu, la date et une photo de l’engin de pêche sont demandés aux participants.
Les données recueillies doivent permettre de cartographier la répartition des déchets plastiques issus des activités de pêche et d’aquaculture et d’orienter le développement de matériaux biodégradables vers les types d’engins les plus enclins à être perdus.
Fish & Click compte aujourd’hui 440 observateurs et plus de 1860 signalements d’engins et de fragments d’engins perdus dans la zone de la Manche et en Bretagne Sud. Les observations sur le littoral représentent 85 % des signalements, les plages étant plus faciles d’accès que les explorations sous-marines.
Parmi les 18 000 engins signalés, les cordages constituent la majorité des signalements à terre, notamment en Bretagne et dans les Hauts-de-France. La tendance est tout autre en Normandie, puisqu’environ 60 % des signalements sont dans la catégorie « autre » et concernent du matériel d’aquaculture (filet de mytiliculture, poches ostréicoles…). Une part importante de ce matériel est également signalée en Bretagne Nord (25 %).
En mer, trois types d’engins perdus sont majoritairement observés : les lignes, les cordages et les casiers respectivement dans le nord-est du Golfe de Gascogne, la mer Celtique et la Manche. Le nombre d’observations est très variable d’une zone à l’autre, que ce soit en mer ou sur le littoral. La poursuite de la collecte de données par les citoyens permettra de consolider ces résultats.
Les engins de pêche biodégradables
Dans le cadre du projet INdIGO, l’un des objectifs concerne la mise au point d’un engin de pêche résistant et biodégradable en milieu marin.
Pour cela, il faut d’abord s’entendre sur ce que signifie « biodégradable ».
Évoquer les biomatériaux exige en effet d’identifer au mieux les aspects d’origine et de fin de vie. Le terme « bioplastique » renvoie ainsi à trois familles de polymères : les polymères biosourcés et biodégradables, les polymères biosourcés et non biodégradables et les polymères non biosourcés mais biodégradables.
Le terme « biosourcé » s’applique aux polymères dont la majorité des constituants est issue de la biomasse, c’est-à-dire de matières premières renouvelables qui peuvent se régénérer sur une période de temps significative à l’échelle humaine. Les ressources minérales et les énergies fossiles sont considérées comme des ressources naturelles, mais non renouvelables, ne pouvant se régénérer sur une période suffisamment courte pour les activités humaines.
Le terme « biodégradable » s’applique aux polymères issus de ressources renouvelables ou non. En effet, la biodégradabilité dépend principalement de la structure chimique du plastique et des caractéristiques du milieu dans lequel il est placé (compost industriel, sol réel, milieu marin…). Selon la norme NF EN 13432, la biodégradabilité désigne la capacité intrinsèque d’un matériau à être dégradé par une attaque microbienne, pour simplifier progressivement sa structure et finalement se convertir facilement en eau, CO2 et/ou CH4 et une nouvelle biomasse.
En conditions réelles
La première étape concernant la mise au point d’un engin de pêche résistant et biodégradable en milieu marin correspond au développement d’une nouvelle formulation, composée d’un mélange de plastiques, qui sera utilisée pour fabriquer les monofilaments (filaments composés d’un brin unique) et multifilaments (filaments composés de plusieurs brins).
Les acteurs du projet tentent ainsi de concevoir la meilleure combinaison possible afin d’élaborer des matériaux avec les propriétés requises (résistance, élasticité, efficacité…).
Deux prototypes de filets biodégradables seront ensuite développés en mai 2022 dans le but de remplacer une partie des filets actuellement utilisés pour l’aquaculture (filet de catinage) et pour la pêche (filet fin).
L’une des particularités de ce projet concerne l’étude approfondie du comportement du filet en conditions réelles, tout en s’assurant que l’impact sur l’environnement est nul. Des tests de déploiement en mer seront réalisés par la suite avec les professionnels de la pêche et de l’aquaculture.
Le suivi de la dégradation du filet sera étudié via des tests de vieillissement en mer. Des tests de biodégradation et d’écotoxicité permettront de vérifier scientifiquement que les filets INdIGO, en fin de vie, sont réellement assimilables par les micro-organismes, sans aucun impact sur l’environnement marin.
Enfin, une analyse du cycle de vie permettra de modéliser différents scénarios de fin de vie du nouveau filet, afin de fournir une analyse robuste pour évaluer les impacts environnementaux à chaque étape de la vie du produit.
Juliette Lasserre (Ifremer) a contribué à l’élaboration de cet article. Une newsletter dédiée permet de suivre l’avancement du projet INdIGO.
Morgan Deroiné, Ingénieure R&D matériaux biodégradables, Université de Bretagne Sud et Laetitia Miquerol, Ingénieur en écologie marine, Ifremer
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.