Thucyblog n°285 – Que fait la Chine dans le Golfe ?
Par Rachid Chaker, le 3 mai 2023
Le 10 mars dernier, l’Arabie saoudite et l’Iran, sous les auspices de la Chine, ont conclu un accord visant à rétablir leurs relations diplomatiques, rompues depuis 2016. Cet article propose une lecture de ce nouveau positionnement chinois et d’en analyser la portée réelle.
La Chine et le Golfe au XXIe siècle
L’intérêt de la Chine pour les États du golfe Persique est notamment à mettre en parallèle avec ses besoins croissants en hydrocarbures. Les importations chinoises de pétrole et de gaz en provenance des États du Moyen-Orient ont en effet fortement cru en vingt ans, donnant à la stabilité de ce dernier un caractère stratégique pour la République populaire. C’est ainsi que la Chine, outre le développement de nombreux partenariats économiques, s’est progressivement impliquée dans la géopolitique régionale avec deux objectifs en ligne de mire : la défense de ses intérêts commerciaux et la stabilité régionale. L’ouverture d’une installation en 2017 en Afrique de l’est a, dans cette optique, laissé nombre d’observateurs spéculer quant aux ambitions de Pékin. Bien que la RPC affirme ne rechercher nullement l’hégémonie sur quelque espace que ce soit et justifie cette installation par des impératifs logistiques, cette implantation, couplée aux perceptions liées au théorisé « collier de perles », a pu renforcer l’idée selon laquelle la Chine ambitionnerait de devenir la nouvelle puissance dominante du Golfe. Un certain nombre de paramètres permettent toutefois de nuancer ces suspicions.
Pékin, une puissance qui ne veut pas assumer de lourdes responsabilités tout en ayant intérêt à favoriser les médiations
La Chine a souvent refusé de se retrouver au premier plan des crises qui ont frappé le Moyen-Orient, avec une stratégie de retrait relatif de la RPC lorsque le climat politico-militaire s’y dégradait. Lors de la crise irakienne (2002-2003), Pékin avait en effet adopté une position de second plan, laissant Paris, Moscou et Berlin porter frontalement l’opposition à Washington à l’ONU. Lors des débats sur le nucléaire iranien, la Chine fut initialement discrète, laissant Moscou et les Européens à la manœuvre, et ne se décida que tardivement à s’impliquer véritablement, lorsque les résolutions proposées au Conseil de sécurité pouvaient fortement affecter ses intérêts. Il a également pu être observé que lors de la crise du Golfe de juin 2017, la RPC demeura au second plan, se limitant à seulement proposer sa médiation. Pékin espère ainsi préserver ses intérêts tout en en minimisant les coûts.
La médiation ainsi entreprise par Pékin n’est de facto pas surprenante. La RPC a développé des partenariats aussi bien avec le royaume saoudien qu’avec la République islamique. Encore récemment, outre les aspects énergétiques, ce sont des drones que le royaume a acquis auprès du membre permanent du Conseil de sécurité. Concernant la République islamique, la Chine demeure l’un des premiers partenaires de celle-ci : en 2021, l’Iran et la Chine signèrent un partenariat stratégique pour une durée de vingt-cinq ans, témoignant de la profondeur des coopérations entre les deux États. Il faut par ailleurs souligner que Pékin estime nécessaire de disposer d’un environnement stable pour le développement de son économie, notamment dans le cadre du projet dit des nouvelles routes de la soie. En ce sens, la médiation chinoise peut également apparaître comme une stratégie visant à pacifier les relations dans une région stratégique, et ce dans un contexte de relations tendues entre plusieurs acteurs régionaux et Washington.
Les Etats-Unis, arbitre des marges de manœuvre chinoises dans le Golfe ?
Washington, tout en soulignant avoir été informé que des négociations étaient en cours, a salué cette initiative et cet accord, et ce alors que les relations entre les États-Unis et leurs alliés du Golfe se sont dégradées depuis le début du mandat de Joe Biden. Celles-ci ont en effet subi l’inflexion donnée par le président qui, dès ses premières semaines en fonction, prit un certain nombre de mesures qui indisposèrent ses alliés du Golfe. En résulta un refroidissement diplomatique qui a pu être concrètement observé lors du premier déplacement du président américain en Arabie en 2022 : le refus saoudien d’augmenter sa production de pétrole fut d’ailleurs interprété à Washington comme un soutien implicite du royaume à l’offensive russe en Ukraine, générant appels à sanctions de la part d’une partie de la classe politique américaine. C’est donc dans ce contexte qu’il faut replacer la réussite diplomatique de Pékin : la Chine a pu profiter du vacuum provoqué par les dissensions entre Washington et ses alliés arabes pour manœuvrer et obtenir un succès. Il ne s’agit ainsi pas d’une entreprise chinoise qui a permis de challenger directement l’influence américaine mais de profiter des relations difficiles entre Washington et plusieurs monarchies arabes – et hostiles entre les États-Unis l’Iran – pour poursuivre l’agenda politique de la RPC.
Les États-Unis et la présence chinoise dans le Golfe
Soulignons que les États-Unis demeurent et souhaitent demeurer la puissance dominante du Moyen-Orient, le « retrait américain » de la région au profit du très mentionné pivot asiatique n’a jamais été observé. Washington compte en effet rester la puissance dominante dans cet espace hautement stratégique. Celui-ci, comme souligné, abrite une grande partie des réserves prouvées d’hydrocarbures, et même si les États-Unis ont fortement diminué leur dépendance aux ressources venant du Moyen-Orient, il leur est fondamental de veiller à ce qu’aucune puissance présumée hostile ne puisse être en mesure d’en contrôler les flux. Par ailleurs, les menaces de terrorisme et de prolifération nucléaire sont toujours bel et bien présentes, et Washington n’a aucun intérêt à ce que la Chine soit en mesure d’imposer ses vues sur ces différents dossiers. Enfin, dans l’hypothèse d’un potentiel conflit militaire entre Washington et Pékin, les États-Unis ne peuvent se permettre de laisser la Chine contrôler les points de passages stratégiques tels que le détroit de Bab al Mandeb, ou de laisser l’Empire du Milieu dominer militairement l’océan indien.
Conclusion
La portée de cette annonce est surtout à analyser du point de vue des monarchies du Golfe, notamment l’Arabie. Alliés de longue date, Washington et Riyad ont désormais des relations en dents de scie. Les déceptions saoudiennes vis-à-vis de l’allié américain observées depuis maintenant une quinzaine d’années pourraient progressivement mener le royaume à réviser sa politique d’alliance, mettant davantage en concurrence les grandes puissances et ne s’appuyant plus exclusivement, dans le domaine sécuritaire, sur la collaboration avec les États-Unis. La récente volonté de Riyad de rejoindre l’OCS corrobore cette hypothèse. Mais même si l’obtention d’un accord irano-saoudien négocié sous la supervision de Pékin constitue une indiscutable évolution de la géopolitique régionale, sa portée est toutefois, pour l’heure, à relativiser. Rappelons que la Chine ne souhaite pas supporter le fardeau que pourrait représenter la sécurisation du Moyen-Orient, Pékin semble davantage intéressé par les avantages que par les inconvénients associés à une implication dans la région. Du point de vue des États-Unis, la stabilisation par la paix du Moyen-Orient s’avère un point positif, d’autant que l’Administration Biden semble moins hostile à l’Iran que celle de Trump. Néanmoins, Washington veillera à ce que la région ne soit pas dominée par la Chine, en témoigne le maintien d’une importante présence militaire américaine dans le Golfe, laquelle n’a jamais été remise en cause. La perception que les dirigeants à Riyad ont du caractère stratégique de leur alliance avec les États-Unis sera fondamentale dans l’évolution à venir de la géopolitique régionale. Malgré des intérêts communs, il n’est désormais plus à exclure que le royaume saoudien ne considérera plus la relation avec Washington comme une donnée à conserver à tout prix. C’est peut-être le meilleur enseignement de cet épisode.