Wilfried Sanchez, Ifremer et Yann Aminot, Ifremer
En février 2023, le journal Le Monde a publié une vaste enquête sur la contamination de l’environnement par les PFAS, ces substances chimiques qualifiées de polluants éternels.
Les composés perfluoroalkylés et polyfluoroalkylés (PFAS) forment un groupe de plusieurs milliers de substances chimiques ayant la particularité d’être très persistantes dans l’environnement. En raison de leurs propriétés tensio-actives, de leur grande inertie thermique et de leur stabilité chimique, ils font l’objet d’un grand nombre d’usages domestiques et industriels, notamment dans les revêtements et enduits protecteurs, l’ameublement, l’habillement, les emballages alimentaires, les poêles antiadhésives, la cosmétique et les mousses extinctrices.
Un récent rapport de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) fait un bilan de la contamination dans les eaux de surface et souterraines, mais aussi dans l’air et le sol. Le milieu marin, bien qu’il soit l’ultime réceptacle des contaminations terrestres, n’est pas abordé.
La question mérite donc d’être posée : l’océan et les organismes marins sont-ils contaminés par les PFAS ? Les données acquises par l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) permettent de commencer à répondre à ces questions.
Une contamination ubiquiste du milieu marin par les PFAS
Depuis 2010, le programme « Veille POP » (pour Veille sur les nouveaux Polluants Organiques Persistants dans les mollusques marins) utilise des organismes sentinelles intégrateurs, comme les moules et les huîtres, pour déterminer les niveaux et les empreintes de contamination de l’environnement marin côtier en France métropolitaine. Ce programme vise principalement à rechercher des contaminants organiques persistants, bioaccumulables et toxiques d’intérêt émergent, dont les PFAS – notamment le perfluorooctane sulfonate (PFOS) et les perfluorocarboxylates (PFCA).
Le PFOS, un PFAS avec une chaîne de 8 atomes de carbone, est identifié dans 90 % des échantillons, à des concentrations comprises entre plusieurs dizaines de ng/kg (poids sec) et quelques µg/kg (poids sec), principalement dans les estuaires. Malgré cette forte occurrence, les concentrations en PFOS diminuent progressivement depuis le début des années 2000, suite à son arrêt de commercialisation en 2002.
Les PFCA à longue chaîne (8 atomes de carbone et plus) sont également détectés dans 50 à 100 % des échantillons, dans des gammes de concentrations similaires. Contrairement au PFOS, les PFCA ne montrent pas de tendance temporelle significative, probablement en raison de l’utilisation contemporaine de composés précurseurs de PFCA.
Parmi les grands estuaires français (Seine, Loire et Gironde), celui de la Seine apparaît comme étant le plus contaminé, ce qui peut être relié à l’importante présence humaine et industrielle dans son bassin. Des PFAS y ont été retrouvés dans toutes les espèces constituant la chaîne alimentaire du bar européen et de la sole commune, comme les invertébrés benthiques, le zooplancton ou les harengs.
De même, des mesures de PFAS historiques dans l’eau et les sédiments de zones conchylicoles européennes révèlent une contamination généralisée par le PFOS à des concentrations induisant un risque pour les écosystèmes. Par contre, les molécules à chaînes courtes utilisées en remplacement du PFOS, qui sont moins bioaccumulables bien que tout aussi persistantes et plus mobiles, ne sont pas retrouvées.
Au-delà des côtes, les PFAS atteignent des écosystèmes distants des principales sources, conséquence de leur persistance et de leur mobilité.
Peu piégés dans les sédiments, les PFAS suivent la circulation océanique, et sont lentement transportés depuis leurs sources nord-américaines et européennes vers le reste des océans. Des modélisations indiquent ainsi que malgré son interdiction il y a plus de 20 ans, les concentrations en PFOS vont continuer d’augmenter dans l’océan Atlantique profond pour encore plusieurs décennies.
Les PFAS peuvent également passer dans l’atmosphère. Une équipe suédoise a récemment démontré que ces composés tensioactifs, se concentrant aux interfaces comme celle de la microcouche de surface des océans, sont entraînés dans les embruns et les aérosols marins, et peuvent ainsi être transportés par les courants atmosphériques.
[Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]
Les PFAS, en particulier ceux avec de longues chaînes carbonées, sont ainsi retrouvés dans les organismes marins de régions distantes de leurs sources. Des mesures effectuées sur les grands prédateurs (requins, espadons et thons) de l’océan Indien (Réunion, Seychelles et Canal du Mozambique) ont ainsi révélé une contamination par les PFAS avec des niveaux variables selon les espèces, les organes considérés et les zones géographiques étudiées.
Des tendances similaires sont observées chez les thons de l’océan Pacifique sud-ouest en Nouvelle-Calédonie et en Papouasie Nouvelle-Guinée. En raison de l’éloignement des sources, les niveaux sont toutefois relativement faibles.
Les PFAS n’épargnent pas non plus les organismes des profondeurs. Des campagnes de mesures réalisées dans les grands fonds marins (entre 800 et 1300 mètres de profondeur) du golfe de Gascogne ont mis en évidence la présence de ces molécules dans tous les échantillons de crustacés et de poissons collectés, avec des concentrations variant entre quelques µg à quelques dizaines de µg/kg (poids frais).
Vers une meilleure connaissance de la contamination du milieu marin par les PFAS
Malgré les données disponibles, les connaissances sur la contamination de l’océan par les PFAS sont parcellaires, tant au regard de la composition en PFAS que de la distribution géographique. Les PFAS sont en effet une famille chimique qui regroupe plusieurs milliers de molécules et peu d’entre elles sont suivies dans le milieu marin.
En écho au plan d’action ministériel sur les PFAS pour la période 2023–2027 qui prévoit notamment d’améliorer la connaissance des rejets et de l’imprégnation des milieux pour réduire l’exposition des populations, il y a donc un intérêt majeur à avoir une image plus fine de la contamination du milieu marin et des organismes par les PFAS, en particulier les molécules utilisées en substitution des PFAS à longue chaîne.
Depuis 2019, l’analyse des PFAS dans le cadre du programme Veille POP a été étendue par des techniques d’analyse alternatives, notamment par des analyses non-ciblées qui permettent d’observer une large gamme de contaminants, allant au-delà d’une liste prédéfinie de substances à rechercher. Ces méthodes révèlent qu’une très large fraction de la contamination par les PFAS (pouvant atteindre plus de 90 % de l’empreinte totale en PFAS) échappe aux méthodes d’analyses conventionnelles.
Aussi, le recours à une plus large batterie d’analyses, capable de détecter aussi ces PFAS échappant aux analyses plus classiques, pourra permettre l’identification de « hotspots » de contamination sur le littoral français. Il pourra aussi contribuer à une meilleure cartographie de cette contamination dans les différents océans du globe et au sein des organismes qui y vivent.
Bien qu’elles doivent être complétées, les connaissances relatives à la contamination du milieu marin par les PFAS questionnent sur ses effets actuels et futurs, tant sur la biodiversité que sur les consommateurs des produits de la mer. Les organismes marins seront en effet exposés à ces composés persistants pour plusieurs décennies, alors même que la santé des océans est et sera affectée par le réchauffement climatique, des conditions multistress à l’impact méconnu.
Ainsi, les océans portent toujours l’empreinte de la contamination au polychlorobiphényle, ou PCB (une autre famille de contaminants très persistants), avec des conséquences environnementales, sanitaires et sociétales lourdes. Ils ont par exemple causé l’interdiction de la pêche à la sardine en baie de Seine de 2010 à 2022, bien qu’ils aient été identifiés comme nocifs il y a plus de 50 ans et interdits en France depuis 1987.
Tout porte à croire que les impacts de la contamination aux PFAS seront d’une même ampleur, à mesure que la recherche scientifique révèle leur toxicité et que des normes sanitaires et environnementales sont établies.
Wilfried Sanchez, Ecotoxicologue, directeur scientifique adjoint, Ifremer et Yann Aminot, Biogéochimiste des contaminants organiques, Ifremer
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.